Nu couché I
[1907 / 1908]
Nu couché I
[1907 / 1908]
« Je changeais de moyen, je prenais de la terre pour me reposer de la peinture dans laquelle j'avais fait absolument tout ce que je pouvais pour le moment. » (Matisse)
Cette œuvre est emblématique du dialogue qu'établit Henri Matisse entre sa peinture et sa sculpture. Le motif du nu couché se retrouve dans de nombreuses œuvres. Ici, Matisse libère la forme des contraintes anatomiques au profit d'une expressivité extrême. L'exigence de clarté est marquée par une forme de contrepoint émotionnel. Ainsi, toutes les articulations du corps sont mises en évidence dans cette pose qui évoque plus une forme de tension que de repos, où l'arabesque se trouve continuellement brisée, sans jamais porter atteinte à l'unité globale de la figure.
Ámbito | Sculpture |
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Técnica | Bronze, patine sombre |
Medidas | 35,5 x 50,5 x 28 cm |
Adquisición | Don de héritiers d'Alphonse Kann, 1949 |
Inventario | AM 881 S |
Información detallada
Artista |
Henri Matisse
(1869, France - 1954, France) |
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Título principal | Nu couché I |
Título atribuido | Aurore ; Femme nue couchée |
Fecha de creación | [1907 / 1908] |
Circunstancias de producción | [1907] / 1908 |
Lugar de realización | D'après l'original daté [1907] exécuté à Collioure |
Colaboradores | Fondeur : Atelier Bingen et Costenoble Fondeurs, Paris (France), 1908 |
Ámbito | Sculpture |
Técnica | Bronze, patine sombre |
Medidas | 35,5 x 50,5 x 28 cm |
Impresión | Ex. 1/10 |
Inscripciones | S.N. : Henri Matisse [sur la terrasse à l'arrière] // 1/10 [sur la plinthe] |
Adquisición | Don de héritiers d'Alphonse Kann, 1949 |
Sector de colección | Arts Plastiques - Moderne |
Inventario | AM 881 S |
Análisis
Une première idée du thème du Nu couché apparaît en 1904 dans Luxe, calme et volupté, tableau ambitieux mettant en place cinq figures principales, nues, dans des poses qui dressent un répertoire de thèmes futurs de peintures, mais aussi de sculptures. La même pose est reprise en 1906 dans Le Bonheur de vivre . Déjà, dans l'enchevêtrement des études et travaux associés à cette grande toile, on rencontre une sculpture, Nu couché à la chemise (1906) qui articule le passage de la peinture à la troisième dimension : elle constitue en effet comme la mise en volume de la figure placée au premier plan tout en préfigurant exactement le Nu couché I (travaillé un peu plus tard, au tout début de 1907). Le décalage entre les deux techniques est cependant encore flagrant : dans la peinture de la Fondation Barnes, le grand rythme de la simplification, l'expression claire, purifiée de l'émotion, et dans la sculpture, une impression d'encombrement. Encombrement citationnel de cette pose classique (celle de l'Ariane endormie), encombrement des plis flottants de la chemise: ils apportent un élément de tactilité sensuel à la sculpture, mais gênent la vision claire du jeu des contrepoints et des torsions.
Au contraire, en 1907, le couple — au sens de couple de forces — formé par le Nu couché I et sa « transposition » en deux dimensions, Nu bleu, souvenir de Biskra , présente un cas de figure inédit dans l'œuvre de Matisse et qui demeurera unique. Ce qui relie si étroitement les deux œuvres est d'ailleurs dû au hasard d'un accident. Matisse se trouvait à Collioure depuis l'automne 1906, il avait plusieurs fois rendu visite à Maillol, son voisin à Banyuls, et venait d'entreprendre dans les derniers jours de 1906 ou les premiers de 1907 le Nu couché. L'accident — la chute du modèle original en terre — intervint vraisemblablement à la mi-janvier 1907 (il existe une lettre de Michaël et Sarah Stein déplorant l'accident, adressée à Matisse le 25 janvier 1907)1.
Matisse décida tout de suite, non seulement de reprendre et de continuer sa sculpture, mais aussi d'en commencer une transposition peinte, à une échelle monumentale2, dans le souci constamment affirmé « d'organiser »: « C'était toujours pour organiser. C'était pour ordonner mes sensations, pour chercher une méthode qui me convienne absolument... C'était toujours en vue d'une possession de mon cerveau, d'une espèce de hiérarchie de toutes mes sensations qui m'aurait permis de conclure ».3 La conclusion est là en effet. Dans le Nu couché, Matisse réussit à conserver la violence de son sentiment, et à l'exprimer avec une énergie égale à celle qui est répandue dans le tableau. Energie qui ne réside pas dans la surface, au modelé vivant mais pas particulièrement novateur, mais qui gonfle intensément chacun des éléments de ce corps, déplacé, déformé, mis au service d'une « hiérarchie ». Dans le tableau, le bras se prolonge au-delà du cadre. Dans la sculpture, l'effet monumental est donné par la même courbe, cette fois achevée, grandiose, et par sa retombée sur le casque des cheveux. Chaque articulation est l'objet d'un traitement spécial, d'un processus d'agrandissement (d'exaltation) constamment tenu en main, unifié.
Nu couché est une des sculptures de Matisse où se marque le mieux l'exigence de clarté et d'expressivité, en même temps qu'un flux d'émotions. Toutes les articulations sont mises en jeu et en évidence dans cette pose qui n'évoque nullement le repos, mais qu'on ressent comme parcourue de tensions et de contrepoints, où l'arabesque se trouve continuellement brisée, mais où est atteinte cependant une globalité.
Nu couché I est celle de ses sculptures que Matisse fait figurer le plus fréquemment dans sa peinture, dès 1908 et jusqu'en 19244, peut-être en raison du rapport compulsif et ambigu qu'elle a entretenu dès l'abord avec Nu bleu, souvenir de Biskra ? Sous les espèces les plus différentes, et pendant près de dix ans, elle va revenir hanter la peinture de Matisse, de façon étrange, poursuivant une existence quasi autonome.
En 1908, l'année suivante, dans Sculpture et vase persan la sculpture, présentée horizontalement, est le sujet du tableau. Posée sur une sellette, un peu plus grande que nature (le tableau mesure 60,5 X 73 cm), mais clairement définie comme sculpture, elle n'en ressemble pas moins étrangement à la peinture Nu bleu : position identique dans l'espace bidimensionnel du tableau, même contour cerné encore plus lourdement accentué, même déformation. L'ambiguïté est totale : on ne sait où commence la peinture, où finit la sculpture, et visuellement, la tension existe, très fortement. Par la suite, un groupe de trois toiles (1912) associe le motif du bocal de poissons rouges et le Nu couché placé non pas horizontalement, mais redressé verticalement. Très schématisé, hors échelle (toujours trop petit ou trop grand par rapport au bocal de poissons rouges), le Nu couché échappe alors visiblement à son statut de sculpture.
C'est particulièrement clair dans la version du Museum of Modern Art, Poissons rouges et sculpture (1912), la plus ancienne des trois, contemporaine des Ateliers, où une indication (une bande de couleur qui se prolonge au-delà du cadre) relie seule le Nu couché à la terrasse-socle dont il devrait être inséparable. La couleur renforce d'ailleurs l'ambiguïté. D'un rose qui évoque au moins autant la carnation d'un corps que la couleur véritable de la terre cuite, la figure allongée semble regarder les poissons rouges comme le feront dans les années vingt de nombreuses figures féminines dans les tableaux et les gravures. Et qui sait si, désignée par le titre comme sculpture, elle n'est pas en réalité redevenue modèle, figurant dans cette nature morte à trois, à côté de l'élément animal et végétal, la présence humaine. Ne serait-ce d'ailleurs que par la couleur, elle signifie bien corps, figure, par rapport au bleu et au vert prédominants, tel un écho affaibli du « vermillon vibrant » de La Danse et La Musique (1910).
Un peu plus tard, deux œuvres renversent à nouveau les données : Sculpture et vase de lierre (1916) et Nature morte au lierre (Musée de Besançon, collection Georges et Adèle Besson). On ne trouve plus l'ambiguïté par rapport au modèle, mais une figure objet, assimilée formellement aux autres éléments (rapport de la cuisse violemment schématisée avec la panse de la gargoulette, des seins avec les fruits). C'est l'époque, très brève, où Matisse s'approchant du cubisme cherche des grilles de géométrisation, et tente de plier également la figure à cette géométrisation (cf. la Tête blanche et rose, n° 11) sans y parvenir tout à fait. Enfin nous voyons reparaître le Nu couché, définitivement hors échelle, dans La Leçon de musique de 1917 , où sa présence, aux divers sens du mot, est à plus d'un titre tout à fait étonnante : cette dernière et monumentale apparition (en fontaine) du Nu couché, préside, de loin, à la réapparition d'une figure plus traditionnelle dans l'œuvre de Matisse.
Isabelle Monod-Fontaine
Notes :
1. Cf. Jack Flam, The Man and his Art, 1869-1918, Londres, Thames and Hudson, Ltd, 1986, p. 191.
2. La toile — 92 x 142 cm — est à peu près trois fois plus grande que la sculpture — 35 x 50 cm.
3. « Propos de Matisse à Pierre Courthion », in Henri Matisse, Écrits et propos sur l'art, édition établie par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 70.
4. Nu couché I figure dans : Sculpture et vase persan, 1908 ; Nature morte au pot d'étain, 1910 (90 X 117 cm, Musée de l'Hermitage, Leningrad); Poissons rouges et sculpture, 1912 ; Intérieur aux poissons rouges, 1912 (116,8 X 101 cm, The Barnes Foundation, Merion); Poissons rouges, 1912 (82 X 93,5 cm, Statens Museum for Kunst, Copenhague); Nature morte au lierre, 1916 (60 x 73 cm, Musée des Beaux- Arts, Besançon); Sculpture et vase de lierre, 1916 ; La Leçon de musique, 1917 ; La Séance de trois heures, 1924 (92 X 73 cm, collection particulière)
Source :
Extrait du catalogue Œuvres de Matisse, catalogue établi par Isabelle Monod-Fontaine, Anne Baldassari et Claude Laugier, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1989
Análisis
Plus de la moitié de l’œuvre sculpté de Matisse (83 sculptures) a été exécutée entre 1900 et 1909, au début de sa vie de peintre, et en constant dialogue avec sa peinture, pendant ces années d’apprentissage, puis de maturation.
Nu couché I (Aurore) (cat. rais. no 30) est l’œuvre la plus emblématique de ces passages de relais, de la peinture à la sculpture, et vice versa. Une première idée, peinte, du motif, apparaît dans une petite esquisse très libre pour Luxe, calme et volupté (1904) : la figure couchée au second plan apparaît déjà comme désarticulée tout en occupant fermement l’espace. En 1905, une statuette (Nu à la chemise relevée ou Nu appuyé sur les mains) reprend la même pose, en mettant cependant l’accent sur une arabesque continue, sur la douceur des passages. Puis dans l’enchevêtrement du travail – études dessinées ou peintes – autour du Bonheur de vivre en 1906, une autre sculpture (Nu couché à la chemise) constitue comme la mise en volume de la figure placée au premier plan du Bonheur de vivre, tout en préfigurant Nu couché I , qui sera travaillé un peu plus tard, pendant l’hiver 1906-1907. Processus de va-et-vient qui illustre le célèbre propos de Matisse : « Je changeais de moyen, je prenais de la terre pour me reposer de la peinture dans laquelle j’avais fait absolument tout ce que je pouvais pour le moment. […] c’était pour ordonner mes sensations, pour chercher une méthode qui me convienne absolument. Quand je l’avais trouvée en sculpture, ça me servait pour la peinture. »
Nu couché I aurait été commencé à Collioure en septembre 1906, avant le séjour de Matisse à Paris pour le IVe Salon d’automne, et repris à son retour à la mi-novembre, en lien avec ses amis Maillol et Terrus, qui l’aidaient à l’occasion. Au début du mois de janvier, le modèle en glaise tombe. « Je me repris vite », raconta Matisse à Pierre Courthion, « le lendemain, je relevai mon travail et pus le remettre assez d’aplomb pour pouvoir le continuer ; mais auparavant, plein de confiance dans ce qu’il avait laissé dans mon esprit, je pris une grande toile et peignis le Souvenir de Biskra qui est devenu le Nu bleu. »
C’est dire à quel point cette sculpture et la peinture qu’elle a en quelque sorte engendrée sont en synergie. Dans sa sculpture, pour la première fois sans doute, Matisse réussit à conserver la violence de son sentiment, et à l’exprimer avec une énergie égale à celle qu’il a mise en œuvre dans ses peintures de 1905 et 1906. Énergie qui ne réside pas dans la surface, au modelé vivant sans doute pas particulièrement novateur, mais qui gonfle intensément chacune des parties du corps. La pose classique – un poncif au départ – est ainsi déformée, détournée et recomposée selon la « méthode » matissienne. Chaque articulation est l’objet d’un traitement spécial, d’un processus d’agrandissement (d’exaltation) cependant constamment maîtrisé. Énergie qui est à son tour reversée dans la peinture : l’effet de la grande courbe du bras, sa retombée sur le casque des cheveux, la torsion de la hanche sont transposés dans l’expressivité des cernes bleus et des ombres, qui accentuent à l’excès les volumes du corps peint, et encore dans l’amplification au-delà du cadre de l’arabesque du bras. Issu de cette puissante pulsation de la peinture à la sculpture, et déclencheur lui-même, Nu couché I (qui sera suivi de deux variations bien plus tardives en 1929) est l’une des clefs de l’œuvre : en tant que sculpture, il réapparaît dans neuf toiles, entre 1908 et 1917.
Isabelle Monod-Fontaine
Source :
Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007
Bibliografía
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Matisse, Cézanne, Picasso... L''aventure des Stein : Paris, Grand Palais, galeries nationales, 5 octobre 2011-16 janvier 2012. - Paris : éd. RMN/Grand Palais, 2011 (cat. n° 112 cit. et reprod. coul. p. 251, reprod. p. 248 (sur la photo du cat. 110) et p. 262 (fig. 49 et 50)) . N° isbn 978-2-7118-5744-9
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Im Farbenrausch : Munch, Matisse und die Expressionisten : Editeur : Göttingen : Folkwang/Steidl, 2012 (cat. n° 95 cit. p. 195 et reprod. coul. p. 209)
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Henri Matisse : The Colour of Ideas. Masterpieces from the Centre Pompidou, Paris : Budapest, Museum of Fine Arts, 30 juin-16 octobre 2022. - Paris/Budapest : éd. Centre Pompidou/Museum of Fine Arts, 2022 (sous la dir. d''Aurélie Verdier et David Fehér) (cat. n° 11 cit. p. 43, 45, 168, 320 et reprod. coul. p. 137) . N° isbn 978-615-5987-85-4
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Henri Matisse. The path to color : Tokyo, Metropolitan Art Museum, 27 avril-20 août 2023. - Tokyo : The Asahi Shimbun, 2023 (sous la dir. d''Aurélie Verdier et Tomoko Yabumae) (cat. n° 11 reprod. coul. p. 30-31)