Sans titre

La tête rasée, omniprésente dans cette accumulation d’autoportraits, est lourde de sens dans la Chine contemporaine où se raser la tête, comme le faisaient autrefois les moines bouddhistes, est un signe d’appartenance au milieu social marginal des voyous et des repris de justice. Sa répétition sur toute la surface de cette œuvre monumentale et le traitement volontairement grossier soulignent le caractère rudimentaire de la technique employée – gravure sur bois réalisée avec des outils industriels sur de très grandes planches de contreplaqué – et une volonté de critique radicale. Ici, ni vastes ciels ni flots stylisés ni palette claire et lumineuse – caractéristiques de la plupart des œuvres de Fang Lijun qui témoignent d’une certaine libération – mais, au contraire, une accumulation inquiétante de faces grimaçantes aux couleurs plombées. Fang Lijun, figure dominante du « réalisme cynique » apparu dans les années 1990, fait partie de ce petit groupe d’artistes qui avaient atteint l’âge adulte au moment où s’ouvrait « Chine Avant-Garde », premier bilan de dix ans de « réalisme » artistique libéré du carcan politique maoïste dont la fermeture par les autorités précéda de quelques mois les événements de Tiananmen. Fang Lijun est à la fois un membre de cette élite sortie de la plus prestigieuse école chinoise, l’Académie centrale des beaux-arts de Pékin, et très conscient de la précarité de ce statut : n’a-t-il pas subi durant toute son enfance l’ostracisme et les vexations réservées à un petit-fils des « ennemis de classe » ? Son succès international n’a guère modifié cette manière, bien chinoise, de résoudre cette contradiction fondamentale par un œuvre à la fois plein de dérision et de lyrisme.

Alain Sayag

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007