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Gianfranco Baruchello

A partire dal dolce (Doux comme saveur), 1979

Niveau 4, Espace des Collections film, vidéo, son et œuvres numériques

Verifica incerta, 1964-1965

Niveau 4, Cinéma du Musée

 

25 octobre 2024 – 10 mars 2025

À l’occasion du centenaire de la naissance de l’artiste italien Gianfranco Baruchello (1924-2023), le Centre Pompidou présente un accrochage dédié à deux de ses œuvres : le projet multimédia A partire dal dolce (Doux comme saveur), présenté pour la première fois dans son édition complète, et le film Verifica incerta, entré dans la collection du Musée national d'art moderne en 2002. 

A partire dal dolce (Doux comme saveur)

A partire dal dolce (Doux comme saveur) est un projet de recherche expérimentale qui se décline dans une installation vidéo multi-écrans et dans un livre-objet unique, collage de notes, photographies et dessins. 

 

La vidéo, en plusieurs parties, est le résultat d'un vaste projet sur le « doux » conçu par Gianfranco Baruchello en 1978-1979, pendant les longues années d'action de l'Agricola Cornelia S.p.A. (1973-1981), exploitation agricole en forme de projet artistique. Dans A partire dal dolce, Baruchello se demande comment un goût peut être le point de départ de souvenirs, d'histoires, de réflexions politiques et culturelles sur sa propre époque (imaginaires, stéréotypes culturels, systèmes de pouvoir), pour arriver à penser la mort animale, la putréfaction de la chair, précisément comme résultats de la violence, du pouvoir culturel et de l'exploitation de la nature.

 

Le projet repose sur environ 24 heures d'entretiens réalisés par l'artiste lui-même avec des philosophes, des écrivains et des psychanalystes (Noëlle Châtelet, David Cooper, Félix Guattari, Alain Jouffroy, Pierre Klossowski, Gilbert Lascault, Jean-François Lyotard), mais également des travailleurs immigrés, des pâtissiers de l'industrie de la confiserie et des éducateurs de musées. À partir de la question du « doux », que chacun comprend de manière personnelle, la conversation, menée par Baruchello (le cinéaste et photographe romain Alberto Grifi a collaboré au tournage), s'est orientée dans de multiples directions – philosophie, psychanalyse, art, industrie de la confiserie – jusqu'à aborder le sujet à travers le lait animal, la maternité, le corps, le conte de fées, la guerre, la politique, la mort.

Le livre est un montage de matériaux provenant de ses archives de travail et de notes manuscrites. Il a été le déclencheur d'une série de réflexions articulées dans une liberté absolue, sans conditionnements ni paramètres à respecter, et qui, précisément pour cette raison, abordent des thèmes personnels, appartenant aux sphères du rêve, du refoulé et de l'inconscient.  

En 1979, Baruchello résume ainsi son projet : 

Le choix de ce film (ou de ce livre, comme nous le pensions à l'origine) a été influencé par une observation personnelle relative à l'absence de douceur dans la vie quotidienne et dans le monde qui nous entoure. En parler a pu être, au moins au commencement, une activité qui s’apparente à un exorcisme. En parler permet-il pour autant de pallier le manque ? Pour répondre à cette question, il faudra attendre la fin du discours ; mais la fin est lointaine. Et il y aura encore d'autres mois, d'autres formes d’exorcismes imprévues, d'autres découvertes.
De cette ambiance floue initiale, de cette faim, de cette absence, et après de nombreuses années de réflexion sur la nourriture, et sur la relation sacrée de celle-ci avec « l'esprit », est née l'idée que le sucré est le signe sténographique primordial de toute saveur dérivée de l'acte de manger. Le lait maternel, le jus sucré du fruit, le miel des abeilles, la manne envoyée au peuple de dieu dans le désert, etc.


Un itinéraire qui se complique, dévie, s'enrichit et se ramifie à travers 150 pages d'un objet qui ressemble à un livre composé de notes, de prospectus, de dessins, de photos et de photocopies, de coupures de presse, ce qui n'est pas sans rappeler d'autres opérations paralittéraires et extra-médiatiques que j'ai déjà réalisées.
Le livre (mais ce ne sont que des feuilles de papier sommairement reliées) peut être mis entre les mains de tiers pour leur demander ce qu'ils pensent à la fois du livre et, plus généralement, du sujet qu'il semble traiter. Des tiers constituant un groupe très divers de philosophes, écrivains, poètes, peintres, ouvriers, prêtres, enfants et peut-être même (si l'on trouve quelqu'un qui veuille bien leur parler) hommes politiques, militaires, policiers, directeurs de prison ou d'asile…


Verifica incerta

En 1964, Gianfranco Baruchello (1924-2023) et Alberto Grifi (1938-2007), respectivement peintre et photographe, font l’acquisition du contenu d’un camion rempli de films, environ 150 000 mètres de pellicule destinés à être détruits. Matériel jugé sans valeur, prêt à être dispersé – Baruchello affirme que le camion se dirigeait à Milan pour la récupération du polychlorure de vinyle –, le lot est acheté à l’époque pour 15 000 lire. Dans le tas des copies, rayées et endommagés par l’exploitation, ils trouvent environ 47 long-métrages, notamment américains (mais doublés en italien) dont la plupart en CinemaScope. Après de rapides opérations de reconditionnement standard (nettoyage, collure, rembobinage), Grifi et Baruchello montent le tout à l’aide d’une vieille table de montage achetée d’occasion (une moviola Gentilini-Prevost de 1937).


L’élaboration du film commence à l’automne 1964 et leur prend sept mois de travail, soit comme le dit Alberto Grifi, sept mois de montage et remontage quotidien, « soutenu[s] par les amphétamines ». Les péripéties du « personnage hypothétique » Eddie Spanier sont occasionnées par le montage qui brise toute forme de continuité au profit des lapsus et des surgissements brutaux du non-sens. Produit à partir des résidus de l’industrie cinématographique, Verifica incerta est volontairement projeté sans lentille anamorphique CinemaScope, ce qui provoque une distorsion des images.

 

La projection du film aurait dû être suivie par une « phase de destruction active du matériel » (Disperse Exclamatory Phase), entraînant par conséquent la dispersion irréparable de la copie. Cette seconde partie du projet est toutefois abandonnée à l’issue de l’avant-première du film, à Paris le 30 avril 1965. L’appréciation de Marcel Duchamp – qui apparaît dans le film dans les seuls plans « non readymade », tournés par Baruchello à Rome probablement en 1964 –, présent avec Man Ray et Max Ernst à la séance parisienne, a été fondamentale dans le repentir anti-iconoclaste des deux auteurs.

 

Quelques projections notables se succèdent ensuite : à Palerme en mai 1965, à l’occasion de la réunion du mouvement littéraire néo-avant-gardiste italien, Gruppo 63 ; à New York le 9 février 1966, sur une invitation du conservateur du Guggenheim Museum, Lawrence Alloway, et présenté par John Cage, qui en appréciait notamment le montage sonore. 


Cet accrochage est l'une des initiatives promues et organisées par la Fondation Baruchello à l'occasion du centenaire de la naissance de l’artiste Gianfranco Baruchello (Livourne 1924 - Rome, 2023).