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Hors Pistes, 15e édition
Projections
24 ene - 9 feb 2020
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Pour sa quinzième édition, le festival Hors-Pistes s’attache à explorer, confronter et interroger les métamorphoses que les expérimentations artistiques et les usages individuels impriment aux images contemporaines, dans toute la diversité des registres où celles-ci se meuvent – du cinéma aux séries, à la vidéo, aux images de synthèse, etc. Que sont, qui sont toutes ces images qui nous traversent sans cesse en abondance ?
Parler de « peuple des images », c’est se demander comment la culture visuelle modèle les mobilisations collectives, mais c’est aussi s’arrêter sur les images multiples qui peuplent notre quotidien et nos imaginaires, imprègnent nos relations et nos subjectivités, faisant de nous des images vivantes. Si, individuellement et collectivement, nous sommes chaque jour filmeurs, filmés, regardeurs, détracteurs, passeurs d’images, comment l’existence de celles-ci se trouve-t-elle transformée en même temps que la nôtre ? Partir à la rencontre du peuple des images, c’est comprendre (entre standardisation et écart à la norme) de quelles dominations et de quelles virtualités ces partages sont les vecteurs. C’est aussi se demander ce que deviennent les peuples en lutte d’être tantôt dématérialisés, synthétisés et reconstruits par les flux numériques, tantôt scrutés par des récits – fictions, séries, documentaires – qui étirent leur durée pour mieux sonder la diversité et le devenir des foules.
Pour suivre ces transformations, Hors-pistes investit le Forum -1, y mêlant images amateurs et installations vidéos, aperçus de l’année écoulée et images virtuelles, donnant corps à cette continuité mouvante qui forme désormais pour nos yeux une deuxième peau. Se mêlent aussi les mouvements du cinéma, des séries (à travers l’invitation du scénariste David Simon, des cinéastes Lav Diaz ou Sergei Loznitsa) et l’exercice de la parole et de la pensée : chaque jour, feuilletons dialogués et cartes blanches, leçons d’images et marathons de discussion réunissent philosophes, historiens, écrivains, cinéastes, pour répondre à cette inquiétude que formulait déjà le promoteur des visual studies, W.J.T.Mitchell : Que veulent les images ?
Quando
todos los días excepto martes
Dónde
Quatre cinéastes
Lav Diaz
Né en 1958 aux Philippines, Lav Diaz a grandi sous la dictature de Ferdinand Marcos (1965 – 1986) et le régime de terreur instauré par la loi martiale. Après des études d’économie et de droit, il devient journaliste puis réalise ses premiers films à la fin des années 1980. Très vite, le carcan de l’industrie cinématographique, normative et réductrice, lui paraît aberrant. C’est à New York – où il travaille pour un journal philippin –, au contact de l’avant-garde et du cinéma expérimental, qu’il développe sa propre écriture filmique. En 1994, il entame ainsi ce qui deviendra, après dix ans de tournage avec les mêmes acteurs et de multiples embuches, une œuvre fondatrice et essentielle, aussi majestueuse que modeste par ses moyens : Evolution of A Filipino Family (2004) qui, en près de 11 heures, fait le récit des effets de la dictature militaire sur une famille paysanne. Avec cette épopée, le destin du peuple philippin et celui du cinéaste se trouvent indissociablement liés. Depuis lors, en un acte de résistance et d’empathie à la fois dérisoire et invincible, avec une toute petite équipe, parfois seul, Lav Diaz n’a cessé d’opposer aux mises en scènes du pouvoir ses images, un fleuve ininterrompu d’images faites d’abord avec et pour ceux qui sont oubliés, exploités, maltraités. Renouant avec la culture animiste de l’archipel, exposé tant aux catastrophes naturelles – typhons, tsunamis et inondations – qu’humaines – quatre siècles d’asservissement, aux colons espagnols, à l’impérialisme américain, à l’occupation japonaise, aux régimes autoritaires de Marcos et de Duterte aujourd’hui –, les films de Lav Diaz ignorent le temps rationalisé et comptable imposé par l’Occident pour adopter celui, suspendu, des mythes et de leurs récits épiques, qu’actualisent le réel et le présent traumatique dont le cinéaste témoigne infatigablement. Ses films s’étirent en histoires fabuleuses, magnifiques, terrifiantes, comme autant de récits des heurs et malheurs des hommes, de ceux que l’on découvre, fasciné, lors de veillées sans fin. Avec son goût du romanesque et du cinéma de genre, Lav Diaz donne à chacun une teinte singulière, noire, mélodramatique, fantastique, opératique ou réaliste. Les huit films réunis ici, jusqu’au travail en cours, déploient cette folle entreprise de libération par le cinéma.
David Simon
Écrivain et journaliste de formation, David Simon a profondément transformé le paysage des séries télévisées contemporaines, renouvelant leur mode de narration pour dresser un tableau acéré des conflits et des inégalités qui traversent la société américaine. La série The Wire, dont il fut le créateur et le showrunner pour la chaine HBO de 2002 à 2008, s’est imposée comme une référence majeure : à travers ses cinq saisons, de la justice à l’éducation, du monde du travail à la municipalité, tous les univers traversés par les habitants de la ville de Baltimore sont passés au crible d’un récit où l’enquête policière se mue en investigation historique, sociale et politique.
Parfois comparée à La Comédie humaine de Balzac, pour le souffle romanesque comme pour le souci de cartographier toutes les strates d’une société, la série The Wire a ouvert à la fiction télévisée des territoires inexplorés, et conduit David Simon à d’autres collaborations marquantes avec HBO : en 2008, la mini-série Generation Kill suit le quotidien de soldats américains lors de la première guerre du Golfe et mène une critique véhémente de la hiérarchie militaire ; de 2010 à 2012, la série Treme entrelace le destin de personnages plongés dans la Nouvelle-Orléans de l’après-Katrina ; en 2015, ce sont les soubresauts de l’habitat social dans la banlieue de New-York que retrace la mini-série Show Me A Hero, de même que les transformations immobilières travaillent souterrainement l’histoire d’un « quartier chaud » dans la vaste fresque The Deuce (2017-2019) qui, en trois époques, retrace la trajectoire de ses personnages entre la prostitution, les débuts du cinéma porno et l’épidémie de SIDA.
Si le grand historien américain Howard Zinn publia, en 1980, une Histoire populaire des États-Unis devenue un classique, c’est à une autre histoire, visuelle et fictionnelle, que nous convie David Simon au travers d’un choix de films. Cette carte blanche fait signe à ses propres réalisations (The Diner et le quotidien de Baltimore ; Les Sentiers de la gloire et les aberrations de la chain of command) et d’un retour sur ses propres traces, invitant à revoir le tout premier épisode de The Deuce pour y déceler les indices des promesses et des drames à venir d’une série désormais achevée. Carte blanche proposée en partenariat avec Débordements, revue en ligne de cinéma, et en présence de membres de la rédaction.
Collectif Abounaddara
Au printemps 2011, les médias sociaux ont commencé à diffuser des vidéos qui montrent des jeunes gens défiant la soldatesque d’un tyran, aux cris de Dignité ! Liberté ! Les images étaient stupéfiantes de réalisme. Tournées par des amateurs anonymes aux mains tremblantes, elles témoignaient d’un combat d’une violence inouïe. Aussitôt, des médias traditionnels les ont reprises telles quelles, ou ont contacté leurs auteurs pour en commander d’autres, au nom du devoir d’information et du principe de compassion. Des producteurs allaient aussi s’emparer de ces images au nom d’une certaine idée du cinéma-vérité, tandis que des critiques saluaient la naissance du peuple qui se met en scène par lui-même et pour lui-même, se filmant seul et sans artifice.
Aujourd’hui, le peuple qui a défrayé la chronique est crédité de nombreux films produits par l’industrie mondiale du cinéma, et des centaines de milliers de vidéos distribuées par l’industrie des médias. Mais il n’en demeure pas moins un peuple sans cinéma. Il n’a pas d’espace pour raconter des histoires pétries de son imaginaire et ses aspirations propres. Il ne peut que témoigner des événements qu’il subit en exhibant l’indignité qu’on lui inflige. Il n’a droit qu’à endosser le rôle de bêtes de foire, qui lui est concédé par les écrans du monde et leurs maîtres compatissants.
Or il se trouve, en l’occurrence, que le peuple demeure en Syrie, un pays d’Orient où le critique Serge Daney a constaté, dès 1978, l’impossibilité du cinéma en raison de la tyrannie domestique et l’impérialisme culturel. Il se trouve aussi que, depuis au moins l’avènement de la photographie et du cinéma, les Syriens sont enfermés dans une représentation orientaliste qui fait écran avec le peuple réclamant dignité et liberté. Comment, dès lors, se déprendre de l’orientalisme pour se mettre en scène avec un tant soit peu de dignité ? Comment saisir la révolution qui survient pour échapper à son destin de peuple sans cinéma ?
Sergueï Loznitsa
En dépit de la grande cohérence formelle et thématique de l’œuvre, Sergueï Loznitsa échappe largement aux catégorisations, aux classements par sa façon de combiner les gestes de cinéma d’un film à l’autre. Il le fait en « héritier critique » de l’école russe et soviétique à laquelle il fut formé au sein l’Institut national de la cinématographie S. A. Guerassimov (VGIK).
À ses débuts, on a pu, à juste titre, en faire le représentant d’un documentaire de poésie immergé dans une Russie proverbiale et intemporelle. Mais il réalise à la même période des films marqués, avec un sens de la dérision certain, par l’influence des symphonies industrielles soviétiques. En 2005, il inaugure un pan essentiel de son œuvre documentaire : le travail à partir d’archives. Il réalise en 2010 sa première fiction, My Joy, qui intègre directement la principale compétition du festival de Cannes ; les trois suivantes ont également été conviées à la prestigieuse manifestation.
Archives, symphonies industrielles, campagnes archaïques… Loznitsa serait-il ainsi un cinéaste tourné vers le passé, voire passéiste ? Réalisé en 2014, le brûlant Maïdan, qui investit le présent et l’événement en train d’advenir, occupant, en compagnie de la foule de manifestants, l’emblématique place de Kiev, prouve qu’il n’en est rien. Si le passé et l’Histoire intéressent tant Loznitsa, c’est parce qu’ils constituent pour lui la clef du présent. Qu'il soit documentaire ou de fiction, le cinéma de Loznitsa n'est pas peuplé de personnages au sens conventionnel du terme, auxquels il substitue notamment la multitude et la foule, parfois en prise avec des événements politiques et historiques. Paysage (2003), Maidan (2014) et L'Événement (2015) ont été réunis pour interroger quel est ce « Peuple en images » chez Loznitsa.
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