Exposición / Museo
Politiques de l'art
29 sep 2016 - 2 abr 2017
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Que peut être un « art politique » ? En s’engageant pour une cause, si noble soit-elle, l’art ne risque-t-il pas de se changer en instrument de propagande ? L’art peut-il pour autant rester étranger aux grandes luttes de son temps et renoncer à accompagner, voire à participer aux nécessaires mouvements de transformation du monde ?
Au Musée, la nouvelle session d’expositions-dossiers animant le parcours de visite des collections modernes apporte à ces questions des réponses délibérément fragmentées, reposant sur la singularité de cas d’études tirés des collections du Centre Pompidou au Musée national d’art moderne et à la Bibliothèque Kandinsky. Ces diverses entrées historiques – des années 1910 à la fin des années 1960 – examinent la façon dont les artistes ont, chacun à sa manière, répondu concrètement au « problème » politique par la pratique artistique.
Introduite par une salle consacrée à Ubu roi, incarnation grotesque du pouvoir, figure de la bêtise et de la cruauté égoïste du tyran, la première partie du parcours rend compte de la politisation des arts durant la révolution d’Octobre. Le jeune pouvoir soviétique demande alors aux artistes, par la voix d’Anatoli Lounatcharski, commissaire du peuple à l’instruction publique, de contribuer à « élargir la façon révolutionnaire de penser, de sentir, et d’agir, dans tout le pays » : loubki patriotiques, fenêtres de propagande Rosta, invention de la « factographie », Club ouvrier de Rodtchenko et architecture utopique sont ainsi exposés.
La seconde partie du parcours porte une attention particulière aux expériences menées en France à partir de la fin des années 1920, lorsque de nombreux artistes décident de s’engager. Une salle consacrée à l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR), créée en 1932 et dirigée par Louis Aragon, fait face à un ensemble consacré à Adalberto Libera, architecte appartenant à cette génération de rationalistes italiens dont l’œuvre est marquée par l’idéologie fasciste. Le réalisme socialiste « à la française », défini par la ligne dogmatique adoptée par le PCF dès les premières années de la Guerre froide, est analysé à travers les œuvres d’André Fougeron ou de Boris Taslitzky, mais aussi la fameuse « affaire du portrait de Staline par Picasso ». André Breton trouve sa place dans cette séquence, à l’occasion du cinquantenaire de sa mort, à travers un focus illustrant les engagements politiques du fondateur du surréalisme.
Le parcours thématique s’achève dans les années 1960. L’Internationale situationniste, fondée en 1957, est présentée à travers les outils mis au point par ses membres, Guy Debord, Asger Jorn, Constant ou Giuseppe Pinot-Gallizio : peinture industrielle, détournement, dérive ou urbanisme unitaire. Les événements de mai 1968, auxquels prend justement part l’IS, sont évoqués à travers l’affiche, médium de prédilection de ces « politiques de l’art » aux multiples visages.
Ubu Roi - Le tyran grotesque
(commissaires de l'exposition : Angela Lampe, Élisabeth Jobin et Valérie Gross)
Salle 2
Du néo-primitivisme au cubo-futurisme
(commissaire de l'exposition : Angela Lampe)
Salle 3
Le « loubok » patriotique
(commissaires de l'exposition : Nicolas Liucci-Goutnikov, Julie Champion, Louise Legeleux et Valérie Gross)
Traverse 3
Les Fenêtres de la Rosta
(commissaires de l'exposition : Nicolas Liucci-Goutnikov, Julie Champion, Louise Legeleux et Valérie Gross)
Traverse 4
Factographie
(commissaires de l'exposition : Nicolas Liucci-Goutnikov, Julie Champion, Louise Legeleux, Valérie Gross et Natacha Milovzorova)
Traverse 4
Vassily Kandinsky (1866-1944), le retour en Russie (1914-1921)
(commissaires de l'exposition : Christian Briend et Anne Lemonnier)
Traverse 5
Architecture soviétique : l’affirmation d’une nouvelle esthétique
(commissaires de l'exposition : Camille Lenglois et Valérie Gross)
Traverse 5 bis
Natalia Gontcharova et Le Populaire : points de vue sur le monde ouvrier
(commissaires de l'exposition : Nicolas Liucci-Goutnikov et Vanessa Noizet)
Traverse 6
Documenter la vie sociale
(commissaires de l'exposition : Clément Chéroux, Julie Jones et Vanessa Noizet)
Traverse 6 bis
Peindre et exposer sous l’Occupation : Jeunes peintres de tradition française
(commissaires de l'exposition : Nicolas Liucci-Goutnikov, Vanessa Noizet et Aurélien Bernard)
Traverse 7
Art et parti
(commissaires de l'exposition : Nicolas Liucci-Goutnikov, Camille Morando, Didier Schulmann, Vanessa Noizet et Aurélien Bernard)
Traverse 8
Le logement social : le défi d’Edouard Menkès
(commissaires de l'exposition : Camille Lenglois et Karine Bomel)
Traverse 8 bis
Formes de l’activisme dans les années 1960 - Le pouvoir de l’affiche, la force du peu
(commissaires de l'exposition : Nicolas Liucci-Goutnikov, Julie Champion, Louise Legeleux et Aurélien Bernard)
Traverse 10
Le Club ouvrier d’Alexandre Rodtchenko
(commissaires de l'exposition : Nicolas Liucci-Goutnikov, Julie Champion, Louise Legeleux et Valérie Gross)
Salle 12
Ne visitez pas l'Exposition coloniale
(commissaires de l'exposition : Jean-Michel Bouhours, Camille Morando et Chloé Goualc’h)
Salle 21
L’Association des Écrivains et des Artistes Révolutionnaires
(commissaires de l'exposition : Clément Chéroux, Nicolas Liucci-Goutnikov, Julie Jones, Vanessa Noizet et Chloé Goualc’h)
Salle 22
Adalberto Libera, des ambiguïtés du rationalisme italien
(commissaire de l'exposition : Olivier Cinqualbre)
Salle 24
Le réalisme socialiste à la française (1947-1953) : un art de parti
(commissaires de l'exposition : Nicolas Liucci-Goutnikov, Camille Morando, Didier Schulmann, Vanessa Noizet et Aurélien Bernard)
Salle 25
Internationale situationniste
(commissaires de l'exposition : Nicolas Liucci-Goutnikov, Julie Champion, Louise Legeleux, Aurélien Bernard et Chloé Goualc’h)
Salle 34
Team Ten
(commissaire de l'exposition : Camille Lenglois)
Salle 38
Quando
11:00 - 21:00, todos los días excepto martes
Dónde
Architecture soviétique : l’affirmation d’une nouvelle esthétique
La Révolution d’Octobre 1917 entraîne une forte stimulation de la vie intellectuelle et de la création architecturale en Russie. Le processus de démocratisation de la vie sociale permet le développement d’une architecture utopique (les villes volantes de Georges Kroutikov, les constructions spatiales d’Ivan Léonidov et Iakov Tchernikov, les constructions cinétiques d’Anton Lavinski, les compositions dynamiques de Kasimir Malevitch et El Lissitsky…). La transformation des systèmes techniques et les nouvelles formes d’expression plastique font du constructivisme naissant un principe vivifiant, qui renouvelle la pensée architecturale et rompt avec l’éclectisme et l’historicisme du début du siècle.
Avec l’avènement du stalinisme, le langage architectural se modifie. La reconstruction du pays, les nouveaux plans d’urbanisme des villes, les grands chantiers comme celui du canal ou du métro de Moscou… doivent répondre aux impératifs de la construction de masse. Associant propagande et idéologie, le Pavillon de l’Exposition internationale de 1937 réalisé par Boris Iofan est emblématique de cette volonté d’édification du socialisme au-delà des frontières soviétiques.
Du néo-primitivisme au cubo-futurisme
« Nous prenons comme point de départ de notre art le loubok [gravure populaire sur bois], l’art primitif, l’icône puisque nous y trouvons une perception de la vie plus fine, plus directe et outre cela purement picturale ». C’est ainsi qu’Alexandre Chevtchenko explique le néo-primitivisme qui, vers 1911/1912, s’impose en Russie comme une nouvelle tendance nationale dite de gauche, dont le couple Michel Larionov et Natalia Gontcharova compte parmi les protagonistes les plus importants. Leur intérêt se porte sur le monde paysan (les moissons, les animaux, les saisons) qu’ils aiment représenter dans un style volontairement naïf et sommaire, inspiré autant de l’art populaire que des dessins d’enfants et des graffitis. Vers 1913, la découverte du futurisme et du cubisme conduit Larionov à une dissolution progressive des formes par des reflets lumineux. La simultanéité des rythmes urbains se traduit en un jeu syncopé de couleurs vives.
Adalberto Libera, des ambiguïtés du rationalisme italien
Adalberto Libera (1903-1963) est une figure majeure de l’architecture italienne du 20e siècle. Si sa carrière, après la Seconde Guerre mondiale, est jalonnée de réalisations d’importance, ses débuts illustrent les relations que les architectes modernes entretiennent avec le pouvoir politique. L’avant-garde architecturale et le régime fasciste se réclament en effet tous deux d’une modernité à édifier et s’utilisent mutuellement. Le mouvement fasciste sollicite les architectes modernes pour qu’ils mettent leurs talents au service de l’idéologie ; ceux-ci espèrent en retour des commandes, qu’il s’agisse de programmes classiques d’équipements ou d’édifices associés au régime. Après l’idylle des débuts, les protagonistes hésitent entre mariage de raison et divorce. En 1930, le MIAR (Mouvement italien pour l’architecture rationnelle) est interdit par le syndicat national fasciste. Par la suite, le régime répartit ses soutiens entre modernes et tenants de l’architecture classique. Mais l’alliance de Mussolini avec le régime nazi lui fait abandonner sa liaison esthétique avec les modernes désormais reniée.
Internationale situationniste
Formellement créée le 28 juillet 1957 à Cosio di Arroscia, l’Internationale situationniste (I.S.) est née de la fusion de différents groupes d’avant-garde dont l'Internationale lettriste (I.L.) et le Mouvement international pour un Bauhaus imaginiste. Son document fondateur rédigé par Guy Debord, le Rapport sur la construction des situations…, en pose les objectifs révolutionnaires : « nous pensons qu’il s’agit d’abord de changer le monde ». Les membres de l’I.S. – Michèle Bernstein, Giuseppe Pinot-Gallizio, Asger Jorn ou Ralph Rumney – sont résolus à « entreprendre […] un travail collectif organisé, tendant à un emploi unitaire de tous les moyens de bouleversement de la vie quotidienne ». Ceux-ci, hérités de l’I.L., déterminent les activités de l’I.S. : construction de situations, urbanisme unitaire, détournement ou dérive. Renonçant peu à peu à la création artistique au profit de l’action politique, l’I.S. exclut certains de ses membres à partir de 1962. Les nombreuses publications du groupe, dont La Société du spectacle (1967) de Guy Debord, jouent un rôle certain dans les mouvements étudiants de 1968, auxquels l’I.S. prend part de façon active avant de se dissoudre en 1972.
Le logement social : le défi d’Edouard Menkès
Dans le contexte de pénurie d’après-guerre et de précarisation du logement, il devient urgent d’imaginer un système économique permettant au plus grand nombre d’être logé dans des conditions décentes. Les travailleurs immigrés sont particulièrement touchés et un programme de construction est lancé en 1965 à la fin de la guerre d’Algérie par la Société nationale de constructions de logements pour les travailleurs (Sonacotra, actuelle Adoma). Claudius-Petit, théoricien militant de l’aménagement du territoire, ministre de la reconstruction sous la IVe République et président de la Sonacotra de 1956 à 1977, confie à l’architecte Edouard Menkès (1903-1976) la construction de logements sociaux. Sur la quinzaine de projets proposés, une dizaine est réalisée, dont le foyer de célibataires à la Défense sur la commune de Nanterre (1966-1971). Ce programme à l’économie stricte convient particulièrement à Edouard Menkès qui a déjà travaillé sur l’habitat minimum et l’industrialisation du bâtiment avec Jean Prouvé à partir de 1946. Ses dessins allient à un style graphique fort une production architecturale et sociale exigeante.
Art et parti
La production personnelle des peintres et sculpteurs proches du Parti communiste ne saurait se limiter aux normes définies par la doctrine réaliste socialiste. À la demande du parti, Boris Taslitzky voyage en Algérie pour y croquer situations individuelles et meetings politiques, avant de produire, sur cette base, des toiles inspirées des peintres romantiques français. Les Repasseuses de Simone Baltaxé, jeune membre du comité de rédaction de la revue Traits, convoque quant à elle l’héritage du cubisme à travers un sujet à caractère social. Enfin, Pablo Picasso, malgré son adhésion au parti le 5 octobre 1944, n’a cessé d’affirmer son indépendance artistique. L’appareil critique mobilisé autour des affiches qu’il propose pour le Mouvement pour la paix rappelle l’importance accordée au maître par les dirigeants communistes, heureux de pouvoir compter dans leurs rangs cette recrue de premier ordre.
Le « loubok » patriotique
Le 1er août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie. Cette année-là, la maison d’édition Le Loubok d’aujourd’hui invite plusieurs artistes à créer des affiches destinées à galvaniser la population contre l’armée allemande. Le modèle incontournable est le « loubok », né en Russie au 17e siècle, imagerie populaire obtenue par gravure sur bois. Les œuvres de Kasimir Malevitch et Vladimir Maïakovski exposées ici reprennent aux « loubki » traditionnels leurs formes familières et simplifiées, animées par des aplats de couleurs vives et accompagnées de légendes percutantes. Chez les deux artistes s’imposent le paysan et la « baba » russes, représentés seuls face aux hordes germaniques conduites par la figure grotesque d’un officier obèse. Ces estampes témoignent de l’engagement intellectuel de leurs auteurs, partagé alors par la grande majorité des artistes. En puisant aux sources de l’art populaire, à l’instar des « primitivistes », elles se libèrent des codes de la représentation académique pour s’adresser à un large public.
Team Ten
Groupe informel constitué d’architectes d’horizons divers (Alison et Peter Smithson, Candilis, Woods et Josic, Jaap, Bakema, van Eyck, Hertzberger, De Carlo…), Team Ten naît d’une crise interne lors du CIAM (Congrès international d’architecture moderne) d’Aix-en-Provence en 1953. Révisant l’héritage moderniste dont Le Corbusier est la figure tutélaire, ce groupe s’attelle à la critique du fonctionnalisme. Il pointe les limites de la Charte d’Athènes (CIAM, 1933) en prônant un habitat souple, évolutif, adapté aux besoins et à la spécificité des lieux. Cette réévaluation marque un profond renouvellement de la pensée moderne de l’architecture et de la ville en construisant un autre imaginaire social. Les grandes thématiques de la ville en strates, des infrastructures, de la mobilité, des structures flexibles et de « l’architecturbanisme » influent encore durablement le paysage architectural contemporain.
Vassily Kandinsky (1866-1944), le retour en Russie (1914-1921)
La guerre étant déclarée, Kandinsky regagne Moscou via Odessa à la fin de l’année 1914. Il vient alors de publier Regards sur le passé, texte autobiographique qui offre un témoignage précieux sur la genèse de l’art abstrait. De retour en Russie, Kandinsky réalise principalement des dessins et des aquarelles, ainsi que, lors d’un séjour en Suède, des « bagatelles » (série d’aquarelles figuratives). En 1917, alors que la révolution bolchévique a plongé le pays dans la guerre civile et qu’une grande part des biens de Kandinsky a été réquisitionnée par l’État, il est appelé à collaborer à l’Izo (Département des arts plastiques) et à diriger les Svomas (Ateliers nationaux d’art libre) et la section d’art monumental de l’Inkhouk (Institut de culture artistique). Parallèlement, il se voit chargé d’un programme de restructuration et de développement des musées. Restant cependant à l’écart de tout engagement politique, ses travaux se poursuivent dans la voie de l’abstraction. Kandinsky quitte l’Inkhouk à la fin de l’année 1920 et décide de partir en Allemagne, où il occupe une place fondamentale dans le développement du Bauhaus.
Les Fenêtres de la Rosta
Entre 1919 et 1922, alors que la jeune Russie soviétique est en proie à la guerre civile, Vladimir Maïakovski réalise des affiches satiriques pour Rosta, l’agence télégraphique nationale. Porté par la volonté de créer une société nouvelle, objectif commun au pouvoir bolchévique et à de nombreux artistes d’avant-garde, Maïakovski s’engage dans des actions d’agitation et de propagande en faveur du nouveau régime. L’affiche, le journal, la pancarte et le slogan sont les armes privilégiées de ce combat artistique et littéraire. Produites quotidiennement à grand tirage selon un principe de pochoir, à partir d’originaux peints à la main, les affiches Rosta sont placardées dans les vitrines de magasins vides. Compositions dynamiques, formes simples géométrisées, couleurs symboliques et dialogues entre texte et image forment un langage susceptible d’être compris par les masses, encore largement analphabètes.
Le Club ouvrier d’Alexandre Rodtchenko
Quelques jours après sa reconnaissance officielle par la France, l’U.R.S.S. est invitée à participer à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes à Paris, au printemps 1925. Sa présence revêt des enjeux culturels, politiques et idéologiques : il s’agit pour le jeune État d’affirmer la richesse de sa culture traditionnelle autant que son adhésion à un modèle neuf, le communisme. Les artistes constructivistes et leurs élèves sont invités à présenter leurs travaux novateurs dans de nombreux domaines. Alexandre Rodtchenko se voit confier la réalisation de l’ameublement-type d’un club ouvrier, comme il en fleurit alors en U.R.S.S. Son mobilier en bois peint de trois couleurs est simple, fonctionnel et amovible. La salle de lecture, la tribune oratoire, le coin Lénine et les œuvres d’agit-prop qui s’y déploient en font un espace de culture, de loisir et d’échange pour les ouvriers. Offert au Parti communiste français, le mobilier de Rodtchenko est aujourd’hui perdu. Le Centre Pompidou a reconstitué cet ensemble emblématique à l’occasion de l’exposition « Paris-Moscou », en 1979.
Natalia Gontcharova et Le Populaire : points de vue sur le monde ouvrier
Leur collaboration avec les Ballets russes de Serge Diaghilev conduit Natalia Gontcharova et Michel Larionov à s’installer à Paris en 1917. Parvenant dans un premier temps à vivre de leur participation à des projets conçus pour la scène, les difficultés économiques poussent bientôt Gontcharova à chercher des activités complémentaires. Aidée par ses amis du Parti socialiste, elle réalise entre 1932 et 1935 une série de dessins pour Le Populaire. Organe de la Section française de l’internationale ouvrière, le quotidien propose des faits divers et des romans-feuilletons afin de fidéliser son lectorat. Tracés au crayon et à l’encre de Chine, en traits ou en aplats, les dessins de Gontcharova illustrent les reportages dans un style parfois proche du misérabilisme. Les dix-sept dessins fournis pour accompagner le témoignage d’Albert Soulillou sur la dureté du travail à la chaîne prouvent l’intérêt manifesté par l’artiste pour les problématiques sociales contemporaines.
L’Association des Écrivains et des Artistes Révolutionnaires
L’AEAR naît en 1932 dans un contexte marqué par les crises économiques et la montée des totalitarismes. Son développement, accompagnant l’expansion de l’Internationale communiste, est stimulé par la lutte de ses membres contre la guerre et le fascisme. Regroupant initialement des écrivains, l’association attire également au début des années 1930 de nombreux peintres, sculpteurs, photographes, architectes et réalisateurs soucieux d’inscrire leur démarche dans une perspective révolutionnaire. Leurs aspirations artistiques, politiques et sociales s’expriment à travers différentes publications, dont la revue Commune. Les débats conduits par l’AEAR sur les arts plastiques encouragent l’élaboration d’une réflexion théorique sur l’art et favorisent le développement d’expositions. Organe de formation pour les principaux protagonistes du réalisme socialiste français, l’AEAR se démarque pourtant de ce mouvement dogmatique d’après-guerre par la diversité des propositions artistiques de ses membres.
Factographie
Créé par Vladimir Maïakovski en mars 1923, LEF, le « Front gauche des arts », fédère diverses individualités autour d’un projet politique commun. Plate-forme multidisciplinaire réunissant artistes et théoriciens, le groupe s’appuie sur une revue : Lef (1923-1925) puis Novy Lef (1927-1928). Celle-ci promeut, sous la plume d’Ossip Brik et de Serge Tretiakov, un art résolument ancré dans la vie : la « factographie ». Dans le domaine littéraire, Tretiakov propose de remplacer l’écriture « artistique » par le reportage, l’interview ou le montage de documents. À rebours des intentions de Maïakovski, cette proposition radicale est diversement appréciée au sein du LEF. Elle est relayée dans le champ cinématographique, où une critique virulente de la fiction est menée, aboutissant à la proposition pionnière d’Ester Choub. Elle connaît également un écho certain dans les diverses formes prises par le photomontage de propagande, à l’instar du dispositif créé par El Lissitzky à l’exposition internationale de la presse à Cologne (1928) ou des « photo-essais » de la revue U.R.S.S. en construction.
Documenter la vie sociale
Après une décennie d’expérimentations, la photographie des années 1930 est marquée par un retour à des sujets plus sociaux. La crise économique provoquée par le Krach de 1929, ainsi que l’affirmation d’une conscience de classe, à l’origine de la victoire du Front populaire en 1936, poussent de nombreux photographes à s’intéresser à la réalité contemporaine. S’ils immortalisent la France au travail, les conditions de vie des ouvriers ou des paysans, les populations marginales requièrent également toute leur attention. Ainsi, Marianne Breslauer, artiste allemande venue étudier à Paris auprès de Man Ray en 1929, livre quelques témoignages de la pauvreté parisienne à travers des représentations de sans-abri ou de chiffonniers évoquant les photographies d’Eugène Atget décédé peu de temps auparavant. Initiatives personnelles ou reportages de presse, ces photographies fixent aussi l’image d’une France en transformation, documentant la ruée vers les loisirs et l’essor des pique-niques en plein air.
Peindre et exposer sous l’Occupation : Jeunes peintres de tradition française
Alors que le voyage d’études en Allemagne souhaité par Goebbels et entrepris en novembre 1941 par quelques peintres et sculpteurs français (Vlaminck, Van Dongen entre autres) esquisse une politique de collaboration artistique, quelques artistes décident de s’opposer à l’occupant à travers l’organisation de manifestations partisanes. Présentée en mai 1941 à la galerie Braun, spécialisée en photographie, l’exposition « Vingt jeunes peintres de tradition française » réunit à Paris les toiles d’artistes invités par le peintre Jean Bazaine et l’éditeur André Lejard. À travers leurs œuvres, ceux-ci s’inspirent de l’art roman et des réalisations des peintres modernes : Bonnard, Matisse, Braque et Picasso, et se réclament d’une « tradition française » invoquée pour mieux tromper la censure nazie. Le groupe des Jeunes peintres de tradition française, réorganisé en 1943, voit apparaître dans ses rangs de nouvelles recrues présentées à la galerie de France en février dans l’exposition « Douze peintres d’aujourd’hui ».
Ne visitez pas l'Exposition coloniale
Inaugurée le 6 mai 1931 dans le bois de Vincennes par le président de la République Gaston Doumergue et le maréchal Lyautey, l’« Exposition coloniale internationale » présente pendant six mois les bienfaits de la colonisation, réunissant plus de huit millions de visiteurs.
Rare voix contestataire, les surréalistes, dans la lignée de leur revue Le Surréalisme au service de la Révolution, publient alors deux tracts proposés par André Breton. Ils participent aussi activement à la contre-exposition « La Vérité sur les colonies » organisée par la Ligue contre l’impérialisme et l’oppression coloniale, rattachée au Parti communiste, dans la Maison des syndicats inaugurée le 19 septembre 1931 située dans l’ex Pavillon des Soviets de l'exposition des Arts décoratifs de 1925. L’anticolonialisme des surréalistes s’inscrit aussi dans leur quête d’un nouveau mythe en marge des civilisations occidentales, interrogeant les arts primitifs, le fétichisme et la magie.
Ubu Roi, Le tyran grotesque
Apparu pour la première fois en 1895 sous la plume du jeune Alfred Jarry, le Père Ubu se veut l’archétype de la convoitise, de la gloutonnerie et de l’hypocrisie du bourgeois fin-de-siècle. Incarnant tour à tour, dans les pièces et les textes de Jarry, un roi-usurpateur à la conquête de la Pologne et un docteur en pataphysique – cette science des solutions imaginaires –, Ubu s’impose bientôt en icône de l’absurde et du potache vulgaire, allant jusqu’à survivre à son créateur. Nombreux sont en effet les artistes qui s’approprient le personnage, qui évolue dès lors au gré des événements politiques du 20e siècle. Si les textes de Jarry, d’abord illustrés par l’auteur lui-même, s’accompagnent ensuite des dessins de Pierre Bonnard, c’est à Georges Rouault que fait appel l’éditeur Ambroise Vollard lorsque, par le truchement de la figure d’Ubu, il cherche à dénoncer les ravages de la colonisation et du régime soviétique. Pour leur part, les surréalistes (Picasso, Miró, Matta) et les artistes d’après-guerre (Jean-Christophe Averty) évoquent grâce à Ubu la tyrannie du pouvoir. Se prêtant tant à la scène qu’au jeu pictural, Ubu se fait ainsi le vecteur burlesque des maux de tout un siècle.
Le réalisme socialiste à la française (1947-1953) : un art de parti
Théorisé en U.R.S.S., le réalisme socialiste est un art de propagande destiné aux masses, caractérisé par sa conformité aux normes académiques et sa capacité à communiquer « une représentation historiquement concrète de la réalité dans son développement révolutionnaire » (Moscou, 1934). Introduit en France par les instances dirigeantes du Parti communiste, représenté par les peintres André Fougeron et Boris Taslitzky, défendu par Louis Aragon et diffusé à travers les revues Les Lettres françaises et Arts de France, le réalisme socialiste français naît avec la guerre froide et décline après la mort de Staline. Les portraits d’ouvriers, de résistants et de dignitaires politiques génèrent une imagerie qui célèbre l’idéologie du parti et entretient le culte de la personnalité. À la différence du modèle soviétique, tourné vers la tradition russe des ambulants, la référence à David et Courbet inscrit le mouvement dans une perspective nationale. Doctrine éminemment clivante, le réalisme socialiste cristallise les débats artistiques opposant en France partisans de l’abstraction et de la figuration.
Formes de l’activisme dans les années 1960 - Le pouvoir de l’affiche, la force du peu
La décennie 1960 est caractérisée par une remise en cause générale de l’ordre politique et social établi après la Seconde Guerre mondiale. Des deux côtés de l’Atlantique, les nouvelles avant-gardes réagissent aux événements en s’engageant. Une partie de leur travail s’inscrit dans l’histoire des affiches politiques. Performant moyen de communication, l’affiche offre diverses possibilités techniques – lithographie, sérigraphie, offset – et esthétiques. Les artistes qui y ont recours, souvent mieux connus pour leur parcours individuel que pour l’aventure collective à laquelle ils décident de prendre part, trouvent dans l’affiche un format propre à réagir aux drames et frustrations de l’époque : insatisfaction de la jeunesse à l’égard de la France gaulliste, assassinat de Martin Luther King, mouvement des droits civiques, bombardements au Vietnam. La simultanéité des mouvements étudiants, intellectuels et artistiques, ainsi que leurs combats communs (refus de l’impérialisme raciste et sexiste, critique des musées comme partie prenante du système, fusion de l’art et de la vie…) permettent une lecture croisée de la création en France et aux États-Unis.