Thomas Y. Levin : N'écrivez pas, parlez ! Vers une archéologie de la messagerie téléphonique

Rejetant l’avis communément admis selon lequel la transition de l’histoire des médias entre le cylindre phonographique du XIXe siècle et le disque plat mis au point par E. Berliner marque le passage d’une technologie de « lecture/écriture » à une technologie de « reproduction », cette conférence explorera la culture largement oubliée de l’enregistrement gramophonique individuel ou personnel. Tant dans le cadre domestique (à l’aide d’appareils qui pouvaient être reliés au tourne-disque de la maison) que dans des stands spéciaux érigés au sein des parcs d’attractions (au 86e étage de l’Empire State Building, dans des gares, des bureaux de poste, etc.), les gens réalisèrent un nombre considérable d’« enregistrements instantanés », dès la fin des années 1920 et jusqu’à la fin des années 1960, dans toute l’Europe de l’Ouest et de l’Est, au Canada et aux États-Unis, dans de nombreux pays d’Amérique du Sud, ainsi qu’en Australie et en Asie. Ces équivalents sonores du Polaroid étaient enregistrés directement sur des disques en métal ou en carton couché de petit format, qui n’autorisaient aucun montage ni aucune modification post-production au cours de leur brève durée de vie. Suffisamment robustes pour être expédiés par la poste dans des enveloppes spéciales, ils étaient utilisés par les musiciens pour exécuter des maquettes bon marché, par les poètes pour juger de l’effet produit par leurs œuvres, par les acteurs et les orateurs pour travailler leur élocution, et surtout par les amateurs de toutes sortes pour envoyer une lettre audio (un Recordio-Gram : un « message enregistré personnellement pour vous »).

Étant donné l’énorme importance sociologique de ce média populaire, comment expliquer l’oubli total de cette pratique culturelle par le canon de l’histoire des médias ? Pour un très grand nombre de gens, il s’agissait là de leur première expérience de l’enregistrement sonore, d’une initiation à la culture médiatique de la modernité et, pour les analphabètes (et les personnes « pré-alphabétisées », comme par exemple les enfants), de la possibilité d’accéder pour la première fois à la correspondance (orale). Que nous apprend cette histoire ancienne de la messagerie téléphonique sur la période actuelle de l’histoire des médias et sur sa tendance à remplacer la messagerie vocale par une textualité « instantanée » ?

Thomas Y. Levin est théoricien des médias, commissaire d’exposition, et professeur au département d’allemand de Princeton University, où il enseigne l’histoire et la théorie de la culture et des médias.

Une conférence de Thomas Y. Levin

Renseignements :
Ines Henzler : ines.henzler@centrepompidou.fr
Pour recevoir les annonces de nos soirées :
Christine Bolron, paroleaucentre@centrepompidou.fr