Debate / Encuentro
Quel peuple ? Quelles images ?
Patrick Boucheron
27 - 31 ene 2020
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Séances :
Lundi 27 janvier – « Qu’il n’y a pas d’image du peuple »
Mercredi 29 janvier – « Que toute image vient du peuple »
Jeudi 30 janvier – « Qu’il n’y a pas de peuple sans image »
Vendredi 31 janvier – « Que les images ne sont d’aucun peuple »
Pour des raisons différentes, l’idée d’un « peuple des images » paraît d’abord suspecte aux yeux de l’histoire comme de la philosophie : pour celle-ci, et depuis la caverne platonicienne, les images seraient à la fois bonnes pour le peuple (le philosophe doit donc savoir s’en exempter) et mauvaises pour lui (le philosophe doit donc pouvoir l’en libérer). Pour celle-là, les images formeraient la manière spontanée dont un peuple se raconte à lui-même son histoire – et pour cette raison même devraient être écartées, collection de chromos et de vues édifiantes contre laquelle s’est construite une part de l’histoire contemporaine.
Reste qu’à vouloir traverser le voile des illusions, ou déchirer les vignettes qui à chaque date associent une figure grandiose ou pathétique, on se prive peut-être de comprendre dans leur épaisseur même les formes qu’adopte la culture visuelle, mais aussi les actions et les aléas par lesquels un peuple se figure lui-même, c’est-à-dire se représente, s’appréhende, trouve une consistance en se donnant une silhouette, anticipe sur son unité ou entend décider de son devenir par l’image qu’il s’en fait. Il y aurait, à ce titre, diverses manières d’imaginer le peuple (certaines lui faisant écran, d’autres y donnant accès) ; et il y aurait à rebours plusieurs façons pour un peuple d’imaginer, ou d’être imaginé par d’autres, façons qui tantôt ouvrent un espace de jeu dans l’ordre des pouvoirs et des identités, et tantôt le referment en assignant chacun à sa place, et sage comme une image.
Comme l’a montré Patrick Boucheron dans son livre Conjurer la peur (Seuil, 2013), Ambroggio Lorenzetti entendait en peignant la fresque du Bon Gouvernement tout à la fois résister à la tyrannie, éteindre le brasier de la guerre et restaurer l’intégrité politique de la commune de Sienne. C’était en 1338. Quelles sont les vues – c’est-à-dire les visées et les enseignements, les objectifs et la lucidité – des images populaires d’aujourd’hui, celles qui circulant d’un smartphone à l’autre semblent au fil des foules incarner l’unité du peuple avec lui-même ? A moins que le peuple ne soit à chercher ou à édifier dans l’entre-deux des images, qu’il cherche stratégiquement à passer inaperçu ou qu’il revendique, au moment où il se met en scène, représenter les invisibles.
Patrick Boucheron est historien, professeur au Collège de France où il occupe, depuis 2015, la chaire « Histoire des pouvoirs en Europe occidentale, XIIIe-XVIe siècle. Président du conseil scientifique de l’École française de Rome, directeur de la collection « L’Univers historique » aux éditions du Seuil, il a consacré de nombreux travaux à l’histoire urbaine de l’Italie médiévale, ainsi qu’à l’épistémologie et l’écriture de l’histoire aujourd’hui. Dernier ouvrage publié : La Trace et l’Aura. Vies posthumes d'Ambroise de Milan (IVe–XVIe siècle), Paris, Le Seuil, coll. L’Univers historique, 2019
Philosophe, Mathieu Potte-Bonneville est directeur du Département culture et création du Centre Pompidou.
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