Debate / Encuentro
Jean-Yves Jouannais : L'Encyclopédie des guerres
Entrée : de « Classes (guerre des) » à « Corps (esprit de) »
26 mar 2009
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De « Classes (guerre des) » à « Corps (esprit de) ». Septième conférence-performance Depuis septembre 2008, et pendant les deux ou trois années à venir, Jean-Yves Jouannais lit régulièrement sur scène, dans une petite salle de Beaubourg*, son ouvrage en train de s'écrire L'Encyclopédie des guerres. A la forme connue du livre, Jouannais a donc préféré la forme live, expérimentale et hasardeuse de ce qu'il nomme la conférence-performance, formule qui traduit la proximité que l'écrivain (qu'il est) entretient avec les artistes (qu'il admire). Chaque séance commence par une sorte de générique constitué d'images d'un jeu vidéo où l'on mitraille et bombarde en musique.
Septième conférence-performance : de « Classes (guerre des) » à « Corps (esprit de) », en passant, entre autres, par les entrées « Combattus », « Coquetterie ».
Depuis septembre 2008, et pendant les deux ou trois années à venir, Jean-Yves Jouannais lit régulièrement sur scène, dans une petite salle de Beaubourg*, son ouvrage en train de s'écrire L'Encyclopédie des guerres. A chaque séance, un jeudi par mois, il expose et commente des extraits de textes regroupés par entrées distribuées alphabétiquement. Chaque lecture s'accompagne de projections d'images ou d'extraits de films. Une entreprise hors du commun qui progresse de manière hasardeuse, entre érudition et histoire personnelle.
« Quand on demande à une personnalité du monde intellectuel quels événements l'ont marquée dans les années 1970, il est fréquent qu'elle mentionne les séminaires de Lacan. Ceux qui auront suivi, au cours des années 2000, les conférences de Jean-Yves Jouannais, présentant son Encyclopédie des guerres, garderont peut-être de ces moments le souvenir d'événements pareillement singuliers. Mais Jouannais n'est pas psychanalyste (il n'a même jamais été sur le divan) ; il ne tient aucun discours de vérité et se plaît même à répéter qu'il ne sait rien de la guerre, qu'il est devant elle comme un idiot. Historien, il ne l'est pas davantage. Ni philosophe, encore que le caractère d'errance de ses exposés-performances, les innombrables digressions auxquelles il se livre, la manière dont il revient, à chaque nouvelle séance, sur la séance précédente pour apporter une précision, corriger une formule, fasse irrésistiblement penser à la fluidité des séminaires de Deleuze ou de Barthes, telle qu'on peut la percevoir à travers les enregistrements existants. Dès lors, qu'est-ce qui fait de ces rendez-vous mensuels dans la Petite salle du Centre Pompidou un événement hors du commun ? Qu'est-ce qui, dans la parole de Jouannais sur la guerre, magnétise, captive, enchante au point d'attirer chaque mois un impressionnant public de fidèles que le sujet n'a pourtant, a priori, jamais intéressé ?
La réponse tient en un mot : la forme. C'est incontestablement la forme originale donnée à ce projet qui lui confère sa portée exceptionnelle. C'eut pu être un livre, mais un livre - aussi peu conventionnelle que soit sa construction - comporte toujours une fin. Or, Jouannais caresse l'idée que son entreprise puisse ne jamais s'achever, non seulement parce que sa matière est inépuisable, mais aussi parce qu'elle s'origine dans un rapport personnel à la guerre semblable à une espèce d'addiction.
La guerre ne « l'intéresse » pas, martèle-t-il. Elle n'est pas « intéressante, elle énerve, elle travaille les nerfs ». La guerre est pour lui chose interne, intime, qui l'habite d'ailleurs depuis l'enfance, alors qu'il écrivait ses premières nouvelles et jouait aux petits soldats. Et comme toute obsession, elle est autant source d'agacement que de plaisir. La guerre, dit-il, « est un magma énorme, et j'aime l'idée d'être noyé dans ce magma, de ne rien surplomber. Etre complètement perdu dans Tite-Live est pour moi un grand bonheur. ».
A la forme connue du livre, Jouannais a donc préféré la forme live, expérimentale et hasardeuse de ce qu'il nomme la conférence-performance, formule qui traduit la proximité que l'écrivain (qu'il est) entretient avec les artistes (qu'il admire). Chaque séance commence par une sorte de générique constitué d'images d'un jeu vidéo où l'on mitraille et bombarde en musique. Puis, la lumière revient. Jouannais est sur l'estrade, attablé devant quelques notes qu'il va lire et commenter, se levant parfois de sa chaise pour s'approcher de l'écran de projection ou simplement insister sur la dimension physique de son intervention. Ce dispositif est fondamental, car l'incarnation par l'auteur de son projet en est en somme la clef de voûte. Rappelons que L'Encyclopédie des guerres se compose, sur le modèle de Bouvard et Pécuchet, d'extraits, regroupés par entrées classées par ordre alphabétique, de tout ce qui a été écrit sur les guerres depuis Homère jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale. A ce jour, l'ouvrage comporte environ deux-cents entrées dont la lecture sur scène devrait s'étendre sur trois ou quatre ans. Tout se passe donc comme si Jouannais, qui ne fait, ostensiblement, qu'emprunter aux autres, n'avait rien à dire de nouveau ou de particulier sur la guerre, sinon qu'il la portait en lui, qu'elle « passait » par lui, par sa voix, sa présence en chair et en os. Relativement absent sur le plan du contenu, subtilement et pour longtemps encore présent sur scène, il construit ainsi une position d'auteur à la fois profondément actuelle et juste.
Au fil des séances s'élabore également une vision inédite de la guerre. La mise à plat, par cette vaste entreprise de lecture - plus que d'écriture - de tant de récits d'horreurs susceptibles de confiner au chef-d'œuvre, produit un saisissant effet de travelling qui déploie une bien étrange histoire de l'humanité. Une histoire à travers laquelle nous avançons en compagnie de Jouannais comme en pays inconnu, tant notre ignorance est grande (nous, les privilégiés) de ce que les hommes ont vécu et vivent du fait des guerres. D'une entrée à l'autre, nous faisons connaissance avec d'innombrables pratiques militaires (comme celle consistant à « assaisonner » son ennemi) et découvrons tout un arsenal d'objets, de mots, de sons qui donnent à la guerre un caractère de spectacle total. Et puis, nous faisons aussi connaissance avec un certain Jean Jouannais, mort en 1945, ainsi qu'avec son fils, le père de l'auteur, qui, las d'attendre sa naissance, avait quitté la maternité pour aller voir jouer Les Canons de Navarone. La place du cinéma dans ce travail de compilation est d'ailleurs importante. Quand à la projection d'un extrait montrant Charlie Chaplin en soldat déguisé en arbre, succède, à la séance suivante, la projection d'un long passage du superbe Kagemusha de Kurosawa, les deux pôles aimantant le discours de Jouannais : le comique et le grandiose, la farce et la tragédie, sont clairement mis en évidence. Entre ces deux pôles, il n'y a rien - rien qu'une sorte de machine qui avale et recrache en désordre d'innombrables références de provenance, d'époque, de styles différents. Rien qu'une quête de sens qui n'entend pas sacrifier l'émotion à l'intelligence, et qui, pour cette raison, remue beaucoup de choses en l'auteur comme en nous tous. »
Catherine Francblin
Article publié dans Artpress (N° 354, Mars 2009)
* NDLR : l'auteur désigne ainsi la Petite salle du Centre Pompidou
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Desde 19:30