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J. Hoberman
Retourner le triomphe de la volonté
20 nov 2019
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Réalisé à l’occasion du Congrès du parti nazi de Nuremberg en 1934, Le Triomphe de la volonté de Leni Riefenstahl occupe une place ambiguë dans l’histoire du cinéma. Film de propagande nazi, ce dernier a paradoxalement influencé toute une génération de cinéastes d’avant-garde et de critiques plus enclins à y voir un aboutissement formel de l’art cinématographique.
Charles A Ridley, Lambeth Walk : Nazi Style, 1941, 35mm, noir et blanc, sonore, 3min.
Leni Riefensthal, The Triumph of the Will (the Abridged Version), 1935, 16mm, noir et blanc, sonore, 45min.
Charlie Chaplin, The Great Dictator, 1940, 35mm, noir et blanc, sonore, extrait.
J. Hoberman (1948-) est un critique de cinéma américain. Il débute sa carrière dans les colonnes du Village Voice au début des années 1970. Une position qu’il occupe jusqu’en 2012. Spécialiste de l'histoire culturelle et politique américaine, ses articles sont publiés dans les pages du New York Times ou de la revue Artforum. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de référence tels que The Magic Hour, une fin de siècle au cinéma (Éditions Capricci, 2009), Film After Film: (Or, What Became of 21st Century Cinema?) (Éditions Verso, 2012) et plus récemment Make My Day: Movie Culture in the Age of Reagan (Éditions The New Press, 2019).
« Un événement organisé en partenariat avec l’Université de Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, dans le cadre du colloque international « Territoires de la propagande », porté par Sébastien Denis (CREA, Université de Picardie Jules-Vernes) et Dork Zabunyan (ESTCA, Université de Paris 8 Vincennes-Saint-Denis) ».
Quando
19:00 - 20:30
Dónde
Retourner Le Triomphe de la volonté
Retourner Le Triomphe de la volonté
Certains films soulèvent la question de l’art et du mal. Le Triomphe de la volonté (1935) de Leni Riefenstahl en est un. Il démontre comment un cinéma documentaire peut fabriquer une idole – en l’occurrence le plus grand meurtrier psychopathe du XXe siècle.
Dans les faits, Le Triomphe de la volonté n’a pas rencontré le grand public en Allemagne. C’est un film élitiste, bien loin du divertissement populaire. Cela n’empêche pourtant pas le ministre de la propagande, Joseph Goebbels, de gratifier sa réalisatrice du Prix National du Film. L’année suivante, le film remporte le Prix du meilleur documentaire étranger au Festival du Film de Venise ; il est projeté à la Cinémathèque Française, acclamé et récompensé à l’Exposition de Paris de 1937. Le Musée d’Art Moderne de New York (MoMA) s’en procure une copie.
Bien qu’interdit en Allemagne, et récemment banni de Youtube, Le Triomphe de la volonté est considéré comme un film canonique – faisant partie par exemple des anthologies « Essential Cinema » (Anthology Film Archive, New York, 1971) et « Was Ist Film » (Filmmuseum, Vienne, 1996). Riefenstahl a bénéficié du soutien de critiques influents, de cinéastes et d’artistes célèbres. Madonna a exprimé par exemple son intérêt d’incarner à l’écran la réalisatrice dans un biopic qui ne fut jamais réalisé. Mick Jagger l'adorait. Le film est aussi admiré par des professionnels de la propagande, tels que Roger Ailes et Steve Bannon.
Production fondamentale de l’histoire du cinéma, Le Triomphe de la volonté semble offrir une synthèse de Metropolis (1927, Fritz Lang), du Cuirassé Potemkine (1925, Sergei Eisenstein) et de Footlight Parade (1933, Bubsy Berkeley). Riefenstahl argumenta cependant que son portrait en adoration d’Hitler était un travail pionnier du cinéma-vérité. En réalité, cette « Mona Lisa » Nazie a plus à voir avec la nature du médium cinématographique qu’avec le culte d’Hitler. Il est probable que Walter Benjamin l’ait eu en tête quand il a écrit L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique.
Le Triomphe de la volonté a également été sujet au ridicule, parodié par Chaplin dans The Great Dictator (1940), ou encore par le cinéma d’animation anti-fachiste comme Daffy The Commando (1943, Friz Freleng). Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le film de Riefenstahl connait une deuxième carrière en tant que documentaire sur le film lui-même. En 1941, le MoMA produit une version d’étude de 45 minutes. L’ayant vu, le réalisateur Frank Capra en utilise des séquences pour sa série Why We Fight (1942-1945). La même année, le cinéaste britannique Charles A. Ridley, travaillant alors pour le Ministère de l’information, remonte des séquences du film sur un air de musique populaire - le Lambeth Walk - condamnée précédemment par les Nazis car jugée dégénérée.
La version d'étude du MoMA peut être utilisée pour illustrer les propos de Benjamin sur l’illusion cinématographique, la construction d'une star de cinéma et, plus explicitement, l'esthétisation de la politique. Avec sa chronologie simplifiée et l'élimination des longs discours, cette version apparaît grandement améliorée. Luis Buñuel, qui a travaillé au MoMA pendant la seconde guerre mondiale, a tellement aimé cette version qu'il en a revendiqué la paternité. Ce courageux travail de remontage complétait alors son scandaleux premier succès. À l’instar de son film Un chien andalou (1929), réalisé en collaboration avec le crypto fasciste Salvador Dalí, Le Triomphe de la volonté (version MoMA) était une collaboration avec une véritable complice du régime nazi.
Pourtant, Buñuel n’est sans doute pas l’auteur de cette version d'étude. En s'attribuant le mérite d'avoir amélioré Riefenstahl, sa position semble plus proche d’une farce surréaliste. Adoptant une posture duchampienne, Buñuel n'avait plus qu'à énoncer cette idée pour la réaliser, et ainsi transformer une monstruosité cinématographique en une œuvre d'art autocritique.
Source :
J. Hoberman