Martha Rosler

Emblématique de l’histoire de l’art vidéo, cette œuvre de Martha Rosler, acquise par le Musée national d’art moderne en 2000, met en scène avec ironie l’espace domestique qu’est la cuisine, espace genré par excellence.

D’abord en plan rapproché cadré sur le titre, inscrit sur une sorte de pense-bête pour ménagère, la caméra dézoome pour montrer l’artiste installée derrière un plan de travail recouvert d’ustensiles, comme dans une émission culinaire parodiée à dessein. Les objets sont énumérés un à un, par ordre alphabétique, à commencer par le tablier (« apron ») que Martha Rosler enfile, pour ensuite mimer avec une hargne plus ou moins retenue, les gestes avec lesquels l’usage veut qu’on les manipule. À mi-parcours, avec « ice pick » (pic à glace), « juicer » (presse-agrumes) puis surtout « knife » (couteau), la démonstration devient très tendue et la gentille femme d’intérieur prend des airs de tueuse. Elle poursuit jusqu’aux dernières lettres de l’alphabet, même en l’absence d’outils correspondants, dans une exigence d’exhaustivité qui renvoie à la scientificité évoquée par le titre de la pièce, Semiotics (Sémiotiques de la cuisine). Avec cette vidéo, la femme incarnée par Martha Rosler se réapproprie violemment et intellectuellement son rôle. 

Après avoir étudié l’art à Brooklyn et à San Diego, Martha Rosler pratique la photographie et le photomontage qu’elle utilise très tôt avec ironie, dans le sens d’une critique politique et sociale. Ainsi dans la série intitulée House Beautiful; Bringing the War Home (1967-1972), initiée à l’époque de la guerre du Vietnam, des images de guerre publiées dans la presse sont introduites dans des maisons et intérieurs américains typiques de l'american way of life.
L’utilisation de la vidéo au début des années 1970 lui permet de poursuivre dans ce sens à travers un nouveau médium dont l’usage reste alors à inventer. Les vidéos Semiotics of the Kitchen (Sémiotique de la cuisine) ou encore Domination and the Everyday (Domination et quotidien) en 1978 dénoncent à leur manière les conditions de vie des femmes, pour beaucoup réduites à l’espace domestique.

Bénéficiant de nombreuses expositions, Rosler les conçoit de plus en plus souvent davantage comme des moments de débats et d’échanges plutôt que de monstration de pièces. Elle investit également l’espace public, défendant en particulier la cause des sans-abris. En 1989, sa vidéo Housing is a Human Right (Se loger est un droit humain) est diffusée sur des écrans de Times Square à New York.