Adrian Piper

Triptyque photographique en noir et blanc, dont on se doute d’emblée qu’il contient une part de fiction, cette œuvre fait partie d’un cycle plus vaste dans lequel Adrian Piper s’est composé un personnage d’homme noir à la moustache et à la coupe afro exagérée, qui place les spectateurs et les spectatrices face à des représentations caricaturales et des stéréotypes racistes. Le travestissement y assume un rôle critique. Par ce biais, l’artiste déplace le regard de la femme vers l’homme, de l’homme vers une fiction inspirée de préjugés culturels. Adrian Piper a incarné ce personnage de 1973 à 1975 au cours d’actions dans la rue, dans des lieux culturels ou dans des scènes plus intimistes. Ici, The Mythic Being se détend en fumant, d’un geste délicat, une cigarette, assis dans l’iconique Butterfly Chair. Le caractère exotique de la scène est renforcé par le rayon de soleil, les lunettes et les sandales qu’une vue en contre-plongée place au premier plan, ajoutant ainsi au grotesque des moustaches collées sur le visage fin de la femme. Car tout en traitant de sujets graves, l'œuvre conserve une dimension comique. L’humour féministe rencontre ce que l’on ne nommait pas encore l’intersectionnalité.

Cette œuvre a été acquise par le Musée national d'art moderne en 2021.

Née dans une famille africaine-américaine de la classe moyenne, de son vrai nom Adrian Margaret Smith Piper, Adrian Piper a parfois joué sur l’ambiguïté de genre que peut entretenir son prénom. Diplômée de la School of Visual Arts de New York, et plus tard docteure en philosophie avec une thèse dirigée par le philosophe de la Théorie de la justice, John Rawls, Adrian Piper est l’une des premières artistes à penser ensemble la difficulté pour une femme et une personne racisée d’être artiste.

Après de premières peintures psychédéliques où elle expérimente les effets du LSD sur la création, elle réalise à partir de 1970 des performances, des vidéos, des photos, parfois accompagnées de textes, à la frontière de l’art et de l’activisme. Elle réalise alors plusieurs actions dans l’espace public comme Catalysis (1970-1971), où elle se mêle à la foule, affublée de vêtements trempés au préalable dans une mixture nauséabonde à base d’huile de foie de morue.

Dans les années 1980, parallèlement à son œuvre, elle enseigne la philosophie dans plusieurs universités américaines avant de tout quitter pour aller vivre à Berlin. Elle s’en explique dans son ouvrage autobiographique Escape to Berlin: A travel memoir publié en 2018.