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Nicolás García Uriburu

Coloration de la Seine, Paris, 1970

Nicolás Uriburu réalise, entre 1968 et 1970, une série de quatre colorations à l’échelle internationale. Il investit les cours d’eau de Venise, New York, Paris et Buenos Aires pour en dénoncer la pollution. La problématique environnementale lui est inspirée de sa ville natale en Argentine. Le Riachuelo, rivière séparant Buenos Aires de sa banlieue sud, charrie des métaux lourds toxiques déversés par les usines chimiques avoisinantes. Le cours d’eau compte parmi les dix sites les plus pollués du monde. 

 

Prise de conscience écologique

Uriburu débute, dans les années 1960, une carrière de peintre de paysages et de portraits animaliers. La vente de ses premières œuvres lui permet d’entamer, en avril 1962, à l’âge de 25 ans, un voyage intercontinental qui le mène notamment à Paris et à New York. Ce périple dans l’hémisphère nord lui permet de se rendre compte, par contraste, des remarquables paysages sud-américains. Il convient de les protéger et d’en dénoncer l’exploitation. À son retour, ses peintures, devenues figuratives, se concentrent sur une plante arborescente typique de la pampa sud-américaine, l’ombu. 


De l’espace pictural à l’espace public

Fort de cette prise de conscience, l’artiste argentin décide de sortir de la surface plane de ses tableaux et de travailler dans l’espace urbain. Il déclare en 1968 que « l’œuvre d’art n'a plus de 'place' (galerie, musée…) hors de la nature ; sa place est dans la nature ». Puisqu’il est peintre, il décide de colorer l’eau, littéralement. Il entame des recherches sur le pigment à mettre en œuvre. La substance, puisqu’elle sera répandue dans l’espace public, ne doit être ni polluante ni toxique. Il opte pour la fluorescéine, une poudre rouge qui permet de tester les réseaux d'eaux. Au contact de l’eau, elle devient verte et fluorescente. Les quatre colorations inaugurales, toutes techniquement réussies, suscitent pourtant la polémique. Peindre la nature, verdir les cours d’eaux en milieu urbain dans des sites à grande valeur patrimoniale, sans autorisation et pour en dénoncer la pollution : si ce projet est cohérent pour son auteur, il alerte les pouvoirs publics.

 

Pollution artistique ?

La fluorescéine est en effet malgré tout un produit chimique et Uriburu la répand copieusement. Ses performances sont suivies de l’intervention des forces de l’ordre. À Venise, le commissaire de police procède à des analyses du colorant. Au pont de la Concorde à Paris, la brigade fluviale intervient rapidement et Uriburu est emmené au commissariat. Même si la substance est mise hors de cause et Uriburu relâché, la construction de la figure de l’artiste activiste est lancée. La presse relaye les événements et leur assure une visibilité locale et internationale. C’est une bonne stratégie. Uriburu souhaite en effet diffuser ses convictions écologiques et les théorise bientôt dans un Portfolio (manifeste) (1973) : « je dénonce avec mon art l’antagonisme entre la nature et la civilisation. (…) Les pays plus évolués sont en train de détruire l’eau, la terre, l’air ; réserves du futur dans les pays latino-américains ».

 

Une collaboration d’exception

Après des dizaines d’actions colorantes menées à travers le monde à la fin des années 1990, Uriburu se sent isolé. Il n’est plus soutenu et manque de moyens. Il se tourne alors vers l’association Greenpeace. Cette collaboration, fait unique dans l’histoire de l’art, illustre bien la porosité entre geste artistique et action militante. Entre 1998 et 2010 à Buenos Aires, l’artiste et les écologistes s’opposent à l’installation d’un gazoduc dont le tracé menace l’habitat des Yaguaretés, une espèce de jaguar en voie de disparition. Ils conduisent ensemble quatre actions-performances. Ils escaladent clandestinement la façade d’un musée et déroulent une immense banderole : le geste est caractéristique des actions de Greenpeace. Embarqués sur un Zodiac, l’artiste et les activistes dénoncent ensuite la pollution du Riachuelo en colorant ensemble les eaux en vert. L’organisation non-gouvernementale s’approprie le geste emblématique de l’artiste argentin. 
Ce n’est pas vraiment un hasard si Uriburu s’est rapproché de Greenpeace. Leurs actions directes sont construites selon des protocoles similaires et impliquent des signes plastiques facilement identifiables. Leurs auteurs se déplacent par exemple à l’aide d’embarcations légères. Greenpeace met au point un vocabulaire de banderoles, d’escalades spectaculaires sur des lieux emblématiques – les mêmes que ceux choisis par Uriburu pour ses actions colorantes. Ces signes participent du succès de leurs interventions. Les militants de Greenpeace se sont construits une image remarquable – par exemple celle de guérilleros couverts de boue. Uriburu s’aligne : il apparaît le visage rougi par la fluorescéine à l’occasion de la coloration du Riachuelo menée avec les écologistes en 2010. Et comme les activistes de Greenpeace, et bien avant leur collaboration, Uriburu avait adopté, en avril 1981, une combinaison de travail, verte : l’homme vert marque les esprits et, espère-t-il, les consciences. 


Lutte contre le déboisement

L’Argentin dénonce également le déboisement des villes et la déforestation.

En 1971, il publie une lettre ouverte dans le quotidien porteño La Nación, pour protester contre l’abattage des jacarandas de la place du Chili à Buenos Aires. Il s’attriste à la vue des plaques de ciments qui camouflent les stigmates d’un arrachement, celui des arbres qui, autrefois, rythmaient les trottoirs de sa ville. Il s’attache à mettre en valeur les avantages liés à la présence d’arbres en milieu urbain, en terme d’esthétique, de connexion des citadins avec le rythme de la nature, d’hygiène publique et de fraicheur. Il s’offusque de l’attitude des autorités municipales, son ton est impérieux – il « demande et (…) exige qu’on cesse cet assassinat d'arbres, qu’on respecte (les) places. C'est un manque total de culture de les réduire à du ciment ».

Il dénonce la passivité de la population et l’appelle à manifester. Un véritable mouvement d’opinion se constitue. Le geste artistique de l’artiste argentin trouve à nouveau un prolongement dans la vie publique, et inaugure, en parallèle aux colorations, une autre série d’actions : les plantations d’arbres en milieu urbain. Ce geste a largement trouvé son prolongement dans les politiques publiques actuelles, preuve de sa pertinence et de la préscience de son auteur, décédé en 2016. 


Nicolás García Uriburu en sept dates

1937  Naissance à Buenos Aires
1968  Green Venice, première coloration à la Biennale de Venise pour dénoncer la pollution des eaux
1971  Lettre ouverte publiée dans le courrier des lecteurs de La Nación pour dénoncer l’abattage d’arbres sur le domaine public
1981  Green Rhein, dénonciation de la pollution du Rhin à Düsseldorf. Plantation de 7000 chênes à la documenta de Cassel avec Joseph Beuys
1988  Clean Air for Ever (1968-1988), distribution de tracts dans l’espace public à la 12e Biennale de Venise 
1998  Projet Yaguareté, première performance avec Greenpeace au Musée national des beaux-arts de Buenos Aires
2016  Décès à Buenos Aires


Pour aller plus loin

Fundación Nicolás García Uriburu

Site internet


Entretien avec Nicolás Uriburu à la Fondation Uriburu, Buenos Aires (Argentine)

réalisé par Isabelle Hermann

9 octobre 2014

Durée : 5'08


Dans la collection du Musée national d'art moderne :

Œuvres de Nicolás García Uriburu