Frans Krajcberg
Fragment écologique n°5, 1973–1974
Frans Krajcberg ne copie pas la nature, il la réinvente. La nature est son atelier et son espace de ressource vitale pour l’inspiration, les matériaux et sa survie. La vie et l’œuvre de Krajcberg sont liées par un destin traversé par la violence, la perte et le combat et c’est dans la nature brésilienne qu’il a trouvé sa raison de vivre.
Donner forme à un cri
Fragment écologique n°5 fait partie d’une série d’assemblages de bois commencée au début des années 1970 alors que l’artiste vit à Nova Viçosa, petit port de pêche au sud de l’État de Bahia au Brésil. Pour se consacrer à la sculpture, Krajcberg se fait construire dans un arbre une maison entourée d’ateliers.
Ramassé dans l’immense mangrove qui borde l’Atlantique, ce fragment de bois de palétuvier est ici recouvert d’un pigment ocre flamboyant provenant de l’État du Minas Gerais au sud du Brésil. Cette sculpture biomorphique se présente comme un totem au corps éventré et aux bras levés incarnant la colère d’une nature silencieuse. Frans Krajcberg fait de son art l’expression de sa révolte pour crier la beauté et la fragilité d’une nature menacée. Son approche de sculpteur cherche à dégager la ligne architecturale de fragments de nature prélevés comme des ready-mades et qu’il recycle pour rendre visible leurs qualités plastique et esthétique.
En 1975, une première exposition personnelle est présentée au Centre national d’art et de culture (Cnac), préfiguration du Centre Pompidou. Les rencontres et débats organisés avec les publics le confortent alors dans sa volonté de défendre la nature menacée. Suite à cette exposition, Fragment écologique n°5 est acquis par le Musée national d’art moderne.
Artiste en résistance
La forêt devient son lieu de vie, mais aussi le socle de son engagement pour la survie des peuples amérindiens et la protection des espèces animales et végétales. Pendant l’été 1978, Frans Krajcberg remonte le Río Negro, affluent de l’Amazone, en compagnie de ses amis le peintre Sepp Baendereck et le critique d’art Pierre Restany. Cette expédition en bateau se révèle une expérience humaine et sensorielle bouleversante et, notamment pour Restany, l'occasion d'une révolution théorique. Le Journal du Río Negro donne naissance au Manifeste du naturalisme intégral. Revenant sur les principes fondateurs du Nouveau réalisme, Restany affirme que la question de la nature sera désormais au cœur des enjeux artistiques et culturels. Ce manifeste n’a que très peu d’effet sur la prise de conscience générale dans les années qui suivent. Publié à nouveau en 2013 sous le titre de Nouveau manifeste du naturalisme intégral, il devient un appel lancé au monde de l’art et au grand public pour un éveil des consciences face à la catastrophe environnementale.
Entre l’exil et les flammes
Frans Krajcberg n’en est pas à son premier combat. Né en Pologne en 1921 dans une famille juive et communiste, tout commence sous les flammes à Varsovie pendant la guerre contre la Russie. Il s’engage dans l’armée polonaise. Après la victoire, il entreprend des études d’art à Vitebsk, puis à Leningrad où il devient également ingénieur en hydraulique. En 1939, rattrapé par la guerre, il est officier dans l’armée polonaise qui libère Varsovie puis Berlin. En 1945, il apprend la disparition de toute sa famille dans l’Holocauste. Décoré comme héros mais traumatisé par la guerre, il repart en exil pour reprendre ses études d’art à Stuttgart où il étudie la peinture abstraite auprès du peintre Willi Baumeister, ex-professeur au Bauhaus. Il séjourne à Paris où il rencontre les peintres Fernand Léger et Marc Chagall, puis émigre au Brésil en 1948.
Dans les années 1970 commence son combat politique pour la défense de la forêt brésilienne et ses communautés amérindiennes, ce qui lui vaut des menaces de mort. Il participe à « Eco 92 », conférence de l’Organisation des nations unies (Onu) sur l’environnement, avec des photographies qui témoignent des incendies dans la forêt amazonienne. Il rend également hommage au militant amérindien Chico Mendes assassiné en 1988. En 1996, il est invité à l’exposition « Villette-Amazonie, Manifeste pour l’environnement au 21e siècle », et une rétrospective lui est consacrée.
Frans Krajcberg décède à Rio en 2017 après avoir affronté les affres de l’histoire, les dangers de la vie sauvage et les menaces liées à son engagement politique.
Frans Krajcberg en 7 dates
1921 Naissance à Kozienice (Pologne) dans une famille juive de petits commerçants
1946 Études aux Beaux-arts de Stuttgart. Rencontre le peintre Willi Baumeister, ancien professeur au Bauhaus
1948 Émigration au Brésil
1957 Prix du meilleur peintre à la Biennale de São Paulo
1959 Ami de Pierre Restany. Nationalité brésilienne
1978 Publication du Manifeste du Río Negro. Engagement politique pour la cause environnementale
2017 Décès à Río de Janeiro
Pour aller plus loin
Espace Frans Krajcberg
Centre d'art contemporain, impasse Montparnasse à Paris
Site internet
Pierre Restany, Manifeste du Río Negro, manifeste du naturalisme intégral, 1978
Reportage sur le voyage en Amazonie de Frans Krajcberg
En compagnie du peintre Sepp Baendereck et du critique d'art Pierre Restany en 1978 – qui donnera naissance à la rédaction du Manifeste du Rìo Negro
Durée : 16’34
Frans Krajcberg, portrait d’une révolte
Film réalisé par Maurice Dubroca et produit par Eric Darmon
Mémoire Magnétique productions, 2004
Durée : 52'
Dans la collection du Musée national d'art moderne :