« L’Art dans la vie », une anthologie de la pensée constructiviste
Le mouvement constructiviste russe est surtout connu pour ses réalisations architecturales et son influence sur le design. En dehors de quelques textes programmatiques, ses implications théoriques le sont moins. Perçu aujourd’hui comme un style – dans l’affiche, l’édition, le photomontage, le textile, le bâtiment –, il a été progressivement coupé de la réflexion théorique qui l’a fait naître et accompagné.
L’anthologie L’Art dans la vie (à paraître aux Presses du réel-Centre Pompidou) a l’ambition de réunir un ensemble conséquent de textes parus entre 1918 et 1931, afin de montrer la cohérence et les divers aspects d’une pensée menée aussi bien par des théoriciens que par des artistes et des critiques.
Développée dès le lendemain de la révolution à Petrograd, au sein de la revue L'Art de la commune par des ex-futuristes, cette réflexion rejoint le cheminement d’artistes moscovites, dont les débats se déroulent au sein de l’Institut de la culture artistique. Le point de départ est le rejet de la distinction entre art pur et art appliqué auquel est opposée une appréhension de l’art comme un métier semblable aux autres. Déniant au créateur son aura mystique, le mouvement récuse la dimension spirituelle de l’art, sa capacité à révéler des mondes qui ne seraient pas accessibles au commun des mortels. À la traditionnelle vision individualiste de l’art et de l’artiste, il oppose la force créatrice du collectif. L’art doit être rapproché de la production et l’objet consciemment fabriqué doit remplacer l’œuvre d’art. De là vient la dénomination de « productivisme », revendiquée par une partie de ces théoriciens et créateurs. Enfin, c’est la fonction sociale de l’art qui est repensée : rejetant le plaisir esthétique et la contemplation passive, le mouvement vise à transformer l’art, de producteur de valeurs artistiques en méthode de création et forme nécessaire de toute activité humaine.
Déniant au créateur son aura mystique, le mouvement constructiviste récuse la dimension spirituelle de l’art, sa capacité à révéler des mondes qui ne seraient pas accessibles au commun des mortels. À la traditionnelle vision individualiste de l’art et de l’artiste, il oppose la force créatrice du collectif.
Le mouvement n’eut jamais de plate-forme unique, ni une liste définie de membres, mais agrégea, parfois de façon éphémère, un grand nombre d’artistes, d’Alexandra Exter à Sergueï Eisenstein en passant par Nikolaï Foregger ou Vladimir Tatline.
Plus complète que certains ensembles parus dans des publications déjà anciennes ou dévolues à certains auteurs, l’anthologie couvre l’ensemble des champs marqués par ce mouvement : arts plastiques, théâtre, photographie, cinéma, littérature, architecture, design, musique et expression corporelle. Les ponts ou les échos entre les champs sont nombreux : ainsi la biomécanique pensée comme méthode de formation de l’acteur par Meyerhold connaît un versant d’apprentissage des mouvements du quotidien dans la pensée de Sokolov, qui dérive des expériences sur le geste rationnel de l’ouvrier menées à l’Institut central du travail d’Alexeï Gastev, lui-même inspiré par Taylor. Les réflexions sur le textile et le vêtement font directement écho aux textes consacrés à la mise en page ou au mobilier, mettant en avant une même exigence de rationalité, fonctionnalité, commodité.
À côté de considérations très concrètes, l’anthologie fait la part belle aux spéculations plus théoriques qui revendiquent souvent leur orthodoxie marxiste. À côté de propositions devenues des axiomes dans certains champs – le design particulièrement –, il importe aussi de restituer la dimension utopique du mouvement, y compris dans ses expressions les plus radicales.
Les textes choisis sont parus initialement dans des revues ou des recueils, ou sont issus de conférences prononcées au sein des nouvelles instances de la culture et des instituts de formation des artistes mis en place par le nouveau régime, principalement à Moscou et Petrograd-Leningrad. Si certains auteurs sont connus du lecteur français (Taraboukine, Rodtchenko, Stepanova), d’autres lui sont beaucoup moins familiers : Brik, Arvatov, Pertsov, Arkine.
Les textes sont traduits par Valérie Pozner, Catherine Perrel, Paul Lequesne et Irina Tcherneva. Chaque section est introduite par un spécialiste du champ considéré. L’important appareil critique et les nombreuses illustrations permettront d’accompagner le lecteur dans l’univers foisonnant de cette période unique pour l’histoire mondiale de l’art. ◼
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© Centre Pompidou / photo : J. Faujour / Dist. Rmn-Gp / Adagp