Giuseppe Penone : « Ne pas forcer la matière mais travailler avec. »
L'artiste italien (né en 1947), dont les institutions françaises ont toujours reconnu l'importance et la singularité de la pratique, est l'une des figures majeures de l'art occidental des cinquante dernières années. Associé au mouvement défini par Germano Celant sous le terme d'arte povera, il a développé une démarche extrêmement personnelle nourrie d'une réflexion philosophique parfois teintée de poésie sur le rapport de l'homme à la nature.
Je dessine comme je prends des notes.
Giuseppe Penone
En 2020, il fait une importante donation au Centre Pompidou : trois cent vingt-huit dessins, dont une large partie dévoilée dans l'exposition, qui couvrent cinquante années de création, de 1967 à 2019. Cette facette de son travail, intrinsèquement liée à sa pratique de la sculpture, est longtemps restée confidentielle jusqu’à l’exposition que lui consacra le musée de Strasbourg en 1991. « Je dessine comme je prends des notes », dit l'artiste, toujours un morceau de papier en poche.
Le grand public vous connaît d’abord pour vos sculptures. D’où votre pratique du dessin tire-t-elle sa source ?
Giuseppe Penone — J’ai toujours dessiné. Quand j’étais enfant je réalisais plutôt des portraits de mes copains, de mes proches. J’ai continué à utiliser ce moyen d’expression en créant mes premières œuvres. Je faisais des croquis sur papier, avant, pendant et après la réalisation d’une sculpture. Certains de mes dessins sont des projets, parfois non réalisés, d’autres sont des annotations, d’autres encore des rêveries sur l’œuvre même, ou encore des variantes de ce qu’elle aurait pu être. Il y a aussi comme des suggestions dessinées d’où peut naître l’œuvre. Il y a également des dessins plus techniques : des réflexions sur la manière d’exposer une pièce. Ils permettent de visualiser l’œuvre dans l’espace. Comme pour Essere Fiume, les deux pierres dans le fleuve – j’avais envisagé de projeter des images d’un fleuve sur le sol. Je l’ai dessiné. Malheureusement, ç’avait été impossible à réaliser à l’époque. Ce genre d’idées… Enfin, il arrive aussi que des dessins portent sur la compréhension de l’œuvre. Le dessin c’est le moyen d’expression de l’homme qui est resté inchangé pendant les milliers d’années de notre histoire. C’est un aspect essentiel ! Dans le dessin, on a une continuité du langage. Il permet une interprétation de la réalité qui rapproche différents moments de l’expression humaine.
Dans le dessin, on a une continuité du langage. Il permet une interprétation de la réalité qui rapproche différents moments de l’expression humaine.
Giuseppe Penone
On constate dès vos premiers travaux un lien fort entre l’humain et le végétal…
Giuseppe Penone — Très tôt, j’ai vu dans l’arbre un être dont l’évolution est proche du fluide. Qui peut être modelé dans le temps. L’apparence d’un arbre, elle est solide. Mais dans la durée, elle est fluide. C’est le temps, lui seul, qui permet de saisir la fluidité de cette matière, ou plutôt de cet être. Mon travail consistait à associer à la présence de l’arbre ma propre vie. Même si le rythme de la vie humaine est très différent du rythme de la vie végétale. Il s’agissait de mettre côte à côte, sur un pied d’égalité, l’être végétal et l’être humain. De créer un contact entre eux. C’est ainsi que j’ai créé une sculpture de ma main, en acier puis en bronze, qui vient agripper le tronc, et qui s’enfonce dans la chair de l’arbre au fil de sa croissance. C’est ce qu’on retrouve dans la série Progetto per Lavoro sugli alberi, de 1968.
Mon travail consistait à associer à la présence de l’arbre ma propre vie. Même si le rythme de la vie humaine est très différent du rythme de la vie végétale.
Giuseppe Penone
Il y a beaucoup de jeunes au sein de votre exposition. C’est une génération très sensible à la place du vivant, à sa préservation, qui est au cœur de votre pratique…
Giuseppe Penone — J’ai toujours essayé d’entretenir une relation paritaire avec la nature. Ne pas forcer la matière mais travailler avec, en révéler certains aspects. C’est tout le sens de mon travail sur les empreintes, sur le frottage. Le frottage c’est comme toucher quelque chose, rendre visible la matière qu’on touche. Certains éléments de la matière, on ne peut les percevoir ; ils se révèlent par le frottage – un dessin qui a une objectivité. Qui provoque de l’émerveillement. Pour peu qu’on regarde avec attention la matière, c’est merveilleux ce qu’on peut y trouver ! Mais vous savez, si on s’intéresse à la nature, c’est avant tout pour notre survie. Pas pour la nature en tant que telle. La nature ne nous aime pas.
Vous avez commencé à travailler en 1967, dix ans avant l’ouverture du Centre Pompidou. Quel lien entretenez-vous avec lui ?
Giuseppe Penone — Dans les années 1960 et 1970, Paris était une ville marginale sur la scène artistique. La très forte présence de l’histoire de l’art empêchait les jeunes artistes de s’accomplir. C’était surtout aux États-Unis, en Allemagne, à Düsseldorf, ou en Italie, à Turin, que se développait une scène artistique assez forte. Bien entendu, il y avait des galeries à Paris, Yvon Lambert, par exemple, ou les Durand-Dessert chez qui j’ai commencé à exposer, dans leur galerie de la rue de Montmorency, juste à côté. Beaubourg était alors en travaux. Avec l’ouverture du Centre, en 1977, il y a eu un changement dans la vision des choses. Le regard sur l’art a changé. On s’est davantage intéressés aux artistes italiens, à une culture plus méditerranéenne, et plus uniquement américaine, anglo-saxonne. Ça a rétabli un équilibre sur la scène internationale. Le Centre Pompidou a profondément marqué la vision de l’art au cours des années 1980-1990. Il y a vraiment un avant et un après. ◼
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Photo © Centre Pompidou / C. Laulanne / Dist. Rmn-Gp