Disparition de Patrick O'Byrne, père du programme architectural du Centre Pompidou
Il y a juste dix ans, nous réalisions un numéro spécial de Museum consacré à la programmation des musées (Museum, vol. 31, n° 2, 1979). Ce numéro spécial était conçu en deux parties : une première, intitulée « Aspects théoriques », explicitait le rôle, la fonction et l'intérêt de la démarche programmatique comme base préalable à toute étude de conception, que ce soit de réorganisation, de réaménagement ou de création nouvelle de musée. La seconde partie exposait, sous la plume de différents auteurs, des expériences concrètes, nationales et internationales, de programmations appliquées aux musées. Nous avons eu la chance, avec d'autres, de mettre au point la démarche programmatique dans le cadre du projet du Centre national d'art contemporain Georges-Pompidou. Nous en avons développé l'efficacité dans le cadre d'opérations importantes telles que les musées d'Orsay et du Louvre, dans le cadre d'opérations moyennes et également pour d'autres de plus petites dimensions, par exemple les nombreuses études d'implantation des projets du Fonds régional d'art contemporain.
Car la programmation, ce n'est à tout prendre que la démarche logique de réflexion qui doit précéder la réalisation d'une opération, en quelque sorte le « reculer pour mieux sauter ».
Patrick O'Byrne et Claude Pecquet
Nous avons pu, à chaque fois, vérifier l'intérêt et la pertinence de la démarche, que l'opération soit importante et complexe ou limitée et simple. Car la programmation, ce n'est à tout prendre que la démarche logique de réflexion qui doit précéder la réalisation d'une opération, en quelque sorte le « reculer pour mieux sauter ».
Quoi faire ? Pour qui ? Comment ? Avec quels moyens ? sont autant de questions que doit se poser la programmation et y apporter les réponses adéquates.
Optimisme/pessimisme
Bien entendu, s'il ne s'agissait là que de simple bon sens, cela pourrait se faire par tout un chacun, mais il s'agit en fait d'un peu plus que du simple bon sens. Il s'agit de maîtriser des éléments qui intéressent différentes disciplines souvent complexes telles que : urbanisme, architecture, équipements, gestion, fonctionnement, conservation, éclairage, sécurité, etc. C'est la maîtrise de chacun de ces éléments et de leurs interactions qui explique que la pratique de la programmation soit de l'ordre du professionnalisme.
Nous ne reviendrons pas, dans l'article présent, sur l'intérêt de la méthode comme outil de travail comme nous l'avions appelée dans notre précédent article, mais nous essayerons de répondre à la question qui nous est aujourd'hui posée par Museum, à savoir : qu'en est-il de la programmation dix ans après le numéro spécial de la revue ?
Et tout d'abord, quel impact a pu avoir cette publication ? La réponse, comme souvent, comme toujours, est complexe ; à la fois optimiste et pessimiste.
Optimiste parce que depuis que nous avons décidé de nous spécialiser dans la programmation d'équipements culturels et plus spécialement de musées, nous n'avons jamais cessé de travailler en France comme à l'étranger. Ce qui signifie que de nombreux projets ont suivi une démarche logique pour leur conception et leur réalisation. Optimiste également parce que nous savons que le numéro spécial de Museum a eu et continue d'avoir un très grand succès international et qu'il est courant qu'aujourd'hui encore on nous fasse la demande de tirés à part. Optimiste, enfin, parce que dans le milieu des musées et en particulier à l'Icom (le Conseil international des musées dont étaient membres Patrick O'Byrne comme Claude Pecquet, ndlr), on parle de plus en plus de la nécessité de faire un programme avant de « s'embarquer » dans une aventure muséologique, même si trop souvent il n'en reste que les mots, faute souvent de crédits.
Mais inversement, pessimiste, parce qu'encore trop de musées ou d'équipements muséologiques sont conçus, aménagés ou réaménagés sans qu'aucune étude préalable sérieuse n'ait été établie. Pessimiste, également, parce que trop de maîtres d'ouvrage de l'État, des régions, des départements ou des villes ignorent la programmation ou la considèrent comme superflue, coûteuse et le plus souvent réellement inutile. Pessimiste enfin, parce que trop d'études de programmation sont faites à bas prix par des amateurs insuffisamment formés ou insuffisamment maîtres de la problématique spécifique de la programmation de musée.
Depuis vingt ans, le musée a considérablement évolué. Depuis la galerie ne comportant que de simples cimaises et quelques vitrines, surveillées par un gardien somnolent, ce musée est devenu une véritable machine.
Patrick O'Byrne et Claude Pecquet
Depuis vingt ans, le musée a considérablement évolué. Depuis la galerie ne comportant que de simples cimaises et quelques vitrines, surveillées par un gardien somnolent, ce musée est devenu une véritable machine et c'est pourquoi nous avions utilisé le terme d'outil pour qualifier la programmation, une machine qui est composée d'équipements de plus en plus sophistiqués et de personnels de mieux en mieux qualifiés.
Les musées à la une
Il y a vingt ans, quel quotidien aurait fait sa Une sur un musée ? C'est ce qu'a fait le quotidien parisien Le Monde dont la Une du supplément Affaires, en date du 1er avril 1989, consacrait un article à la pyramide du Louvre sous le titre : « Les musées ouvrent boutique ». Dans son édition du 31 mars 1989, ce même journal consacrait deux colonnes à un accélérateur du nom d'Aglae, destiné au laboratoire de recherche des musées de France. Le 16 février 1989, le quotidien Libération attribuait une pleine page à un article intitulé : « Le devenir musée de la planète », tandis que Le Monde du 2 février 1989 traitait indirectement des musées dans un article sur « Le temple et ses marchands ». Il ne s'agit là, en fait, que de quelques exemples parmi bien d'autres.
Le musée marchand, le musée laboratoire, le musée recherche, le musée animation, le musée spectacle, le musée rencontre, le musée promotion remplace aujourd'hui et remplacera encore plus demain le musée galerie de notre jeunesse.
Patrick O'Byrne et Claude Pecquet
Le musée marchand, le musée laboratoire, le musée recherche, le musée animation, le musée spectacle, le musée rencontre, le musée promotion remplace aujourd'hui et remplacera encore plus demain le musée galerie de notre jeunesse.
À machine complexe, études fouillées. Il ne s'agit pas de faire une mécanique coûteuse qui risque de se coincer au premier mouvement parce que sa mise au point a été négligée : on voit trop d'expériences malheureuses en ce domaine, expériences ratées plus ou moins gravement. Et ce que nous voudrions dire ici, c'est qu'il est dommage que les méthodes de programmation ne soient pas plus entrées dans les mœurs : des clients maîtres d'ouvrage, des conservateurs et des architectes maîtres d'œuvre pour le plus grand bénéfice de tous.
Le précédent numéro de Museum consacré à la programmation était-il trop technique dans sa formulation ? Nous allons essayer ici d'expliquer, sous une forme plus anecdotique le déroulement d'une intervention programmatique et les relations entre ses différents protagonistes. Un directeur de musée, un conservateur ou un responsable élu ou administratif propose ou décide de réorganiser, de développer, de réaménager, voire de reconstruire ou de créer un musée. Il peut, bien entendu, s'adresser directement à un architecte, un scénographe ou un décorateur et lui signifier ses intentions sans autre forme de procès ; et attendre le résultat.
Il est évident que ce n'est pas ce scénario, trop inconséquent et aléatoire, que nous développerons ici. Non, notre hypothétique client s'adresse à un programmateur qualifié et si possible connaissant la spécificité des musées. Un contrat est passé pour l'établissement d'un cahier des charges à l'intention du futur réalisateur : architecte, scénographe ou décorateur, c'est le programme. Ce document, qui sera contractuel entre le client (maître d'ouvrage) et le concepteur (maître d'œuvre) définit avec le plus de précisions possibles les besoins : architecturaux, techniques, en équipements muséologiques et en fonctionnement. Les besoins concernent les activités requises au programme (accueil, salles d'exposition, réserves, laboratoires, bureaux, etc.), les équipements (climatiques, de présentation, de circulation verticale, de sécurité, etc.) et les principes de fonctionnement (personnel, horaires, relations, etc.). Au regard de chacun de ces besoins, sont exprimées les performances requises (dimensions, surcharges, capacités, etc.), leurs spécificités (les fonctions qu'ils doivent remplir et comment), et leurs relations fonctionnelles et spatiales.
Ces besoins sont définis par un dialogue constructif entre l'utilisateur, c'est-à-dire celui qui aura la charge de faire fonctionner le musée et le programmateur. Ils sont la conséquence d'un certain nombre de données, de contraintes, d'exigences et d'objectifs. Les données représentent, en quelque sorte, l'existant (par exemple : le personnel, le public, etc.). Les contraintes et les exigences, ce sont les limites du projet (par exemple : le budget, le bâtiment lorsqu'il existe, les règlements administratifs, techniques ou urbanistiques, etc.). Les objectifs constituent l'ambition du projet (par exemple : s'ouvrir à un nouveau public, moderniser le fonctionnement, créer ou développer de nouvelles fonctions, etc.).
Ce dialogue entre utilisateur et programmateur peut faire intervenir des spécialistes en tant que de besoin (par exemple pour l'éclairage, la sécurité, les laboratoires, etc.), il se déroule sur un temps plus ou moins long selon l'envergure du projet.
Patrick O'Byrne et Claude Pecquet
Ce dialogue entre utilisateur et programmateur peut faire intervenir des spécialistes en tant que de besoin (par exemple pour l'éclairage, la sécurité, les laboratoires, etc.), il se déroule sur un temps plus ou moins long selon l'envergure du projet.
Résultat de ce dialogue et de la prise en compte des données, des contraintes et des exigences et des objectifs, un premier document de synthèse est établi qui constitue le préprogramme. Ce préprogramme est soumis au jugement des différents intéressés et décideurs qui l'acceptent tel quel ou qui l'amendent. Une seconde phase de dialogue est alors ouverte qui permet de préciser, plus en détail, chacune des rubriques du document préprogramme. Ce nouvel apport d'informations est synthétisé dans un nouveau document appelé programme de base. C'est ce dernier qui, après approbation générale sera remis au concepteur pour l'élaboration du projet architectural et muséologique.
Cette remise peut se faire de deux façons, soit directement à un architecte maître d'œuvre choisi par le maître d'ouvrage, soit par la voie d'une consultation auprès de plusieurs maîtres d'œuvre sous la forme d'un concours par exemple. Avant cette phase de concours, le programmateur peut assister le maître d'ouvrage dans la rédaction du règlement de la consultation et apporter son expérience dans le jugement des projets proposés et son avis pour la sélection du lauréat.
Le projet ou le concepteur retenu, le programmateur voit-il son intervention s'arrêter là ? Hélas ! trop souvent oui. Quelles en sont les conséquences ? Le plus souvent, et les exemples sont nombreux : un détournement du programme pour des raisons plus ou moins justifiées d'ordre esthétique ou technique et difficilement contrôlable par l'utilisateur dépositaire du programme.
Attention aux bâtisseurs cannibales
En fait que se passe-t-il dans la pratique au moment du choix d'un architecte maître d'œuvre et pourquoi, ce choix étant fait, un travail principal, majeur, reste-t-il à faire ? Il y a d'abord, pour la première fois, expression de la rencontre entre une demande écrite (le programme) et la formalisation de cette demande (le projet) : il y a création plastique. Or cette création est virtuelle : elle est présentée grâce à une écriture symbolique difficilement déchiffrable sans une attention particulière, un savoir, et une expérience que peu de personnes possèdent. D'où déjà une première difficulté de lecture d'un projet qui n'en est d'ailleurs qu'à son stade initial.
Au stade des études, en effet, le projet n'exprime, généralement, que les grandes intentions, le parti d'organisation des fonctions principales, le traitement par volumes. Il n'y a pas encore eu de dialogue direct entre maître d'ouvrage et maître d'œuvre ; le projet est une proposition chargée de potentialités en attente.
Il faut nécessairement établir le dialogue pour amplifier le programme, le charger des éléments positifs de la création architecturale et pour, dans le même temps, rectifier les erreurs et les dysfonctionnements du projet.
Patrick O'Byrne et Claude Pecquet
Il faut nécessairement établir le dialogue pour amplifier le programme, le charger des éléments positifs de la création architecturale et pour, dans le même temps, rectifier les erreurs et les dysfonctionnements du projet. Ces erreurs sont quelquefois le fait d'une volonté trop grande de l'architecte de « marquer son territoire ».
Un musée, en effet, est souvent une opération prestigieuse et exceptionnelle où l'expression d'une personnalité peut se développer plus que dans d'autres projets et il advient souvent que le contenant (l'architecture intérieure, la scénographie) prenne le pas sur le contenu (les œuvres), l'apparence sur l'existence même du musée. On l'oublie trop souvent, une vitrine n'a qu'une seule fonction : la protection/conservation de l'œuvre. Lorsque l'on peut s'en passer, c'est une obligation afin que la relation objet/visiteur soit la plus simple et la plus directe possible.
Pour pallier ces erreurs et accidents, pour faciliter la lecture du projet et, notamment, aider à mesurer les conséquences de chacune des décisions à prendre au fur et à mesure de l'avancement du projet, il existe une formule qui consiste à confier au programmateur une mission d'assistance et de contrôle de l'évolution du projet, la mission d'adéquation programme/projet. Durant cette phase délicate et déterminante pour l'application du programme et la réalisation du projet, le programmateur aidera l'utilisateur dans ses relations avec le concepteur pour éviter que le musée ne devienne l'expression d'un pouvoir autre que celui des œuvres ; pour éviter, comme l'a dit Pol Bury (peintre et sculpteur belge, ndlr), que « la chair tendre des artistes » ne soit « parfois déchirée par les maniaques du volume et du caillebotis, les bâtisseurs cannibales de l'espace ». ◼
Ce texte a été initilament publié dans la revue Museum (Unesco, Paris), n° 164 (vol. 61, n° 4, 1989.
Le texte intégral de cette revue est à retrouver sur la bibliothèque numérique de l'Unesco.
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