La Cocarde. Le Déchet des continents
[1961]
La Cocarde. Le Déchet des continents
[1961]
« Ses collages sans huile obéissent eux-mêmes au principe de la prolifération liée (celle de la mayonnaise infinie). » (Roland Barthes, écrivain et critique d'art)
Dans ce paysage de concrétions marines ou de développements végétaux, motifs et collages prolifèrent dans un mouvement ascendant. L'œuvre est réalisée à partir d'éléments découpés dans des centaines d'exemplaires d'une même revue de cuisine et d'un magazine animalier. Agencés selon un système accumulatif, les motifs perdent de leur lisibilité et deviennent abstraits. En témoignent l'image inversée d'un museau de chien tirant la langue et une pâtisserie aux connotations ambiguës.
Domaine | Peinture | Collage |
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Technique | Illustrations de magazines découpées et peinture à l'huile sur panneau de contreplaqué |
Dimensions | 122 x 244 cm |
Acquisition | Donation du Fonds DBC à l'État 1973 |
N° d'inventaire | AM 1976-522 |
Informations détaillées
Artiste |
Bernard Réquichot
(1929, France - 1961, France) |
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Titre principal | La Cocarde. Le Déchet des continents |
Titre de la série | Papiers choisis |
Date de création | [1961] |
Domaine | Peinture | Collage |
Technique | Illustrations de magazines découpées et peinture à l'huile sur panneau de contreplaqué |
Dimensions | 122 x 244 cm |
Inscriptions | T.B.DR. : La cocarde / Le déchet des continents. |
Acquisition | Donation du Fonds DBC à l'État 1973 |
Secteur de collection | Arts Plastiques - Contemporain |
N° d'inventaire | AM 1976-522 |
Analyse
Pour Réquichot, le regard d’autrui est un dangereux inquisiteur. Il s’y soustrait tant que possible, sa brève vie durant : « Si certaines trouvailles atteignent un certain degré de gravité il est bon qu’elles se cultivent dans les ténèbres, qu’elles fassent leurs tentatives dans l’occulte, qu’elles se cachent aux yeux de beaucoup, pour que ces regards trop abondants ne les souillent pas comme des rires » (Journal sans dates). Étranger aux autres, Réquichot l’était aussi à lui-même, choisissant comme champ d’expérimentation son propre psychisme, tentant de comprendre le flux des émotions, les rouages de la raison – jusqu’au matin du 4 décembre 1961, où il se jeta par la fenêtre de son atelier, deux jours avant l’ouverture de son exposition à la galerie Daniel Cordier.
Se livrer à corps perdu : dans ses écrits, Réquichot analyse l’état d’abandon absolu qui permet à la sensibilité de se mouvoir. Soumis à la vision qui se forme – « la beauté et le mystère d’une montagne pelée, d’un bois funèbre et rongé ou d’un foie de cheval cancéreux » (lettre du 14 août 1955) –, le regard entraîne tout l’être dans un élan spiralé, allant du « germe », de l’instant rare où naît l’« étonnement » (perception suraiguë, les sens en émoi), jusqu’à l’extase, et à la « dérive » qui s’ensuit (déception, léthargie), « comme une spirale inclinée descend tantôt dans la pénombre et monte aussi en manifeste » (Le spectateur qui rencontre…). La spirale, mouvement perpétuel, alternativement vortex et épiphanie.
Le langage plastique de Réquichot se fixe essentiellement en 1955, repris sans cesse par la suite. La spirale y fait alors son apparition, et demeurera fondamentale dans son œuvre graphique : semblable à des concrétions marines ou à des développements végétaux foisonnants, elle se délite plus tard en signes illisibles, filaments déroulés et flottants des « fausses écritures ». Elle peuple également l’œuvre sculpté – anneaux de métal puis de plastique soudés, formant des ondulations reptiliennes et intestinales. Les collages, réalisés à partir d’éléments identiques répétés, découpés dans des centaines d’exemplaires similaires de magazines de jardinage ou de décoration, procèdent encore selon un système accumulatif rotatif. Roland Barthes écrit qu’ils « conglomèrent » (« ce qu’ils produisent, c’est le glutineux, la poix alimentaire, luxuriante et nauséeuse »), et les rapproche des peintures de l’artiste : « Ses collages sans huile obéissent eux-mêmes au principe de la prolifération liée (celle de la mayonnaise infinie) ; pendant des années, Réquichot accroît ses Reliquaires comme on développe un corps organisé par ingestion lente d’un suc. » Dans La Cocarde. Le Déchet des continents, les corpuscules vibrions qui colonisent la surface établissent de « secrètes correspondances » organiques, psychiques, telles que celles évoquées par Réquichot dans son Journal : « fils de cuivre de l’alchimie électrique fins comme des névroses, obsessions criminelles, crispations d’insectes, […] la culture des bactéries trace des voies lactées ».
Anne Lemonnier
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008