Totem double face

À partir de 1955, les premiers totems du peintre apparaissent le plus souvent sur des planches de bois récupérées d’une scierie voisine ou sur de la tôle. En septembre 1960, Chaissac prend contact avec Iris Clert par une lettre (« Monsieur André Bloc […] me parle de vous et de votre si vivante galerie »), dans laquelle il évoque ses totems, « une quarantaine », « Quelle armée ! » (cat. exp. Paris, 2000, op. cit., p. 350-351). L’année 1961 voit s’établir la reconnaissance de Chaissac : en février, un important article de Pierre Guéguen, paru dans Aujourd’hui, reproduit un grand nombre d’œuvres en couleur, dont l’une a les honneurs de la couverture. Les marchands Iris Clert et Enzo Pagani lui consacrent une exposition personnelle à Paris et à Milan, ainsi que la galerie Michel Columb à Nantes. En dépit de sa mauvaise santé et de conditions de vie précaires, Chaissac peint énormément cette année-là, notamment plusieurs totems. Iris Clert demande au peintre de réaliser son portrait, en vue de l’exposition « Les 41 présentent Iris Clert », qui ouvre le 15 mai 1961 dans sa galerie parisienne. D’après des photographies la représentant, envoyées par Iris Clert (ils ne se rencontrent qu’en août 1961), Chaissac exécute le Totem double face, unique dans sa production, puisqu’il donne à voir deux « portraits » du marchand, de chaque côté. Le cerne noir du dessin et les aplats des couleurs, modelant les formes, rompent avec la planéité et la minceur du support. La recherche d’une morphologie inventée anime solidement ce grand totem, où s’affirment la métamorphose des traits, la déformation des membres et son goût pour le déguisement. La première face peinte est celle représentant Iris Clert « déguisée et masquée » (lettre à I. Clert, mars 1961, publiée in cat. exp. Paris, 2000, op. cit., p. 352), sous les traits malicieux d’un Napoléon devenu pantin. La seconde face tend à gommer cette stature masculine et à affiner la silhouette. Montré dans l’exposition collective d’Iris Clert, ce grand totem est acheté pour le Musée qui le présente à nouveau dans la grande exposition « Manifeste », en 1992. Son univers côtoie celui des trois grands collages datés de 1960-1962, entrés dans les collections lors de la donation Daniel Cordier, en 1989.

Camille Morando

Source :
Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne , sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007