La grille

Raymond Hains, figure majeure de l’art français de la seconde moitié du xx e siècle, a fréquenté l’École des beaux-arts de Rennes avant de travailler à Paris avec le photographe puriste Emmanuel Sougez, chef du service photographique de L’Illustration . Ayant découvert auparavant dans l’atelier de son père des verres cannelés, Hains les utilise alors pour déformer des objets ou des noms, notamment celui de l’artiste Camille Bryen. En regardant La Chimère d’Arezzo – solarisation qu’il a réalisée en 1947 – à travers un fragment de verre cannelé, il a la révélation de son projet futur : l’invention d’une caméra munie de verres cannelés appelée « Hypnagogoscope », du grec hypnos (« sommeil »), agogos (« qui induit ») et skopein (« observer ») – la machine elle-même ne sera jamais réalisée. Le terme, inspiré du registre médical du xix e siècle lié aux pathologies mentales, désignait le délire hypnagogique affectant un sujet à moitié endormi et à moitié éveillé. Intercalant des verres cannelés entre l’appareil photographique et l’objet, Hains donne naissance aux photographies hypnagogiques, réalisées en 1947 et 1948. La Grille relève de la partie la plus abstraite de la série et a été exposée à partir du 30 juin 1948 à la Galerie Colette Allendy à Paris (« Photographies hypnagogiques, Hains »), parmi un ensemble de vingt clichés selon le plan d’accrochage conservé. La photographie est alors présentée sur une toile de jute. Par la suite, Hains inventera les lunettes en verre cannelé et filmera avec Villeglé les images de Pénélope à travers ces verres, entre 1950 et 1954, poursuivant ses recherches pour déformer le réel. En 1952, Hains publie son seul texte, « Quand la photographie devient l’objet », dans Photo Almanach Prisma , n° 5, où il définit sa démarche comme picturale et non pas seulement photographique, cherchant à produire un objet qui s’éloigne de tout mimétisme, ou encore une photographie abstraite. « La photographie est une invention d’ordre purement graphique », écrit-il, « elle se présente en tant qu’objet. C’est une autre réalité. » Contrairement à ce qui est souvent suggéré, Hains resta toute sa vie un photographe : il inventera la photographie-constat, les « Sculptures de trottoir », et remixera les photographies hypnagogiques dans des tirages récents de grand format.

Christine Macel

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007