Cinéma / Vidéo
Pour la suite du monde
13 nov. 2008
L'événement est terminé
« Jusqu'en 1924, les habitants de l'Ile-aux-Coudres tendaient une pêche aux marsouins sur le fleuve Saint-Laurent. A l'instigation des cinéastes, les gens de l'île ont 'relevé la pêche' en 1962 pour en perpétuer la mémoire. »
Le carton inaugural de Pour la suite du monde, le premier film canadien sélectionné en compétition au Festival de Cannes, joue d'emblée cartes sur table avec son dispositif : il ne s'agit pas pour les cinéastes de capturer sur pellicule une coutume archaïque qui perdure (telle la pêche à la baleine au harpon que filme Mario Ruspoli aux Açores en 1956) mais de remettre au goût du jour la pêche au béluga que les habitants de l'Ile-aux-Coudres, en amont de l'estuaire du Saint-Laurent, ne pratiquent plus depuis 1927 - Robert Flaherty ne faisait pas autre chose pour la pêche au requin de L'Homme d'Aran.
Il y a certes une curiosité ethnographique réelle à enregistrer la construction de la « fascine », un assemblage de branchages plantés dans l'eau boueuse de l'estuaire pour constituer la nasse, et une flagrante sensibilité de Brault au lien des habitants avec la lune et les marées, que l' opérateur préserve en prenant garde à ne pas forcer l'éclairage. Mais le projet de Pierre Perrault (1927-1999), qui a confié s'être inspiré en partie de Moi, un Noir de Jean Rouch et avoir initialement pensé écrire un scénario avec les habitants de l'île, consiste en fait à susciter une activité pour faire jaillir une parole - Perrault, poète et homme de radio qui a recueilli des centaines d'heures de parlure québécoise, a toujours refusé la préséance de l'image : « dans le cinéma-spontané, le cinéma-vécu, je ne crois pas que vous puissiez, par l'image seule, révéler l'âme des gens1 »
Le son synchrone du grand opérateur Michel Brault, revenu enthousiaste de ses expériences de cinéma direct avec Jean Rouch et Mario Ruspoli en France, lui convient donc à merveille, même s'il hésite un temps lorsque Brault l'exhorte à laisser de côté tout commentaire et tout entretien. Seul texte qui vaille : le récit de Jacques Cartier, découvreur de l'île en 1535, véritable bible de l'Ile-aux-Coudres qu'Alexis Tremblay, le forgeron ancien pêcheur, récite on et off. Perrault connaissant déjà les habitants de l'Ile qu'il avait enregistrés et filmés, l'échange avec eux se traduit par un contact décontracté entre filmeurs et filmés - coups d'oeil à la caméra ou interpellation de « Pierre » ne sont pas des traces maladroitement laissées au montage mais bien l'inscription à même le film de l'appartenance des cinéastes et de leurs sujets à une même identité québécoise alors en pleine construction politique. En multipliant des plans sur les visages d'habitants qui observent, eux aussi, le paysage, les rituels et les danses d'autres habitants (pêche ou danse, chanson ou fleuve), Brault inaugure un cinéma direct singulièrement québécois, soucieux de magnifier la performance qu'il capte par une présence participante.
Pierre Perrault, Caméra-mages, cité par François Niney dans L'Epreuve du réel à l'écran, De Boeck Université, 2002.
Quand
À partir de 20h30