Débat / Rencontre
Stelarc
Phantom Flesh / Hyper-Human : Excès, ambivalence et indifférence
21 févr. 2019
L'événement est terminé
« Les corps sont devenus des chimères contemporaines de chair, de métal et de codes. Les corps sont devenus des organes effecteurs au service d'autres corps, dans d’autres endroits, et de machines, partout ailleurs, générant ainsi des boucles interactives et des chorégraphies récursives de Fractal Flesh. Les fantômes prolifèrent. Nos fantômes sont devenus des membres fantômes. Pour d'autres, ailleurs, nous ne cessons de clignoter : nous nous connectons, nous déconnectons, nous apparaissons en partie ici et là, sous forme de corps fantômes – comme des bugs dans le temps biologique. Dans les espaces liminaux de prolifération des corps prothétiques, de la vie partielle et de la vie artificielle, le corps est devenu un signifiant flottant. L'excès et l'étrange prédominent. Rester ambivalent dans une posture d'indifférence devient nécessaire. Être humain, c'est peut-être ne pas rester humain du tout. » Stelarc
Avec l’artiste et Jacques Donguy, critique d’art.
Quand
19h - 20h30
Où
Stelarc Viande, métal & code : Architectures anatomiques alternatives
Le cadavérique, le comateux & le cryogénique
Nous pouvons préserver un cadavre indéfiniment avec l’imprégnation polymérique, comme nous pouvons conserver en vie un corps en état de coma grâce à des systèmes d’assistance médicale. La décomposition n’est pas une nécessité pour un corps décédé et ce n’est pas une nécessité pour des corps proches de la mort de mourir. La mort cérébrale n’exclut pas un cœur qui bat. Le droit de mourir devient aussi important que le droit de vivre. Le fait de vivre est souvent l’effet d’être connecté à des instruments et à des machines. La mort maintenant pour beaucoup signifie ce qui arrive quand le corps est déconnecté de ses systèmes d’assistance médicale. Le mort, le presque mort, le pas encore né et le en partie vivant coexistent simultanément. Et les corps préservés par cryogénie attendent une réanimation dans quelque futur imaginaire. Nous fabriquons des chimères en laboratoire, entités transgéniques composées de gènes humains, d’animaux et de plantes. Nous vivons dans un âge de chair qui circule. Les fluides corporels et des parties du corps peuvent être préservés et sont accessibles. Des organes peuvent être prélevés de corps morts et insérés dans des corps vivants. Des mains peuvent être transplantées et réanimées. Le visage d’un donneur, recousu au crâne du destinataire, devient une troisième peau, ne ressemblant ni à l’un ni à l’autre. Des cellules souches répliquées in vitro deviennent des cellules de peau et de muscle. Une cellule de la peau d’un homme impuissant peut être transformée en une cellule de spermatozoïde. L’utérus d’une donneuse décédée qui serait arrivée au terme complet d’une grossesse pourra bientôt être implanté chez une patiente. Et allons plus loin, si un fœtus peut être maintenu en vie dans un utérus artificiel et externe au corps, alors la vie d’un corps ne commencerait plus avec la naissance – ni nécessairement ne finirait avec la mort, grâce au remplacement des parties défectueuses de notre corps. Naissance et mort, les moyens employés par l’évolution pour mélanger le matériel génétique dans le but de créer de la diversité dans notre espèce et pour le contrôle des naissances ne seront plus une des contraintes de notre existence. Comme des parties du corps seront reproduites artificiellement, comme nous pourrons imprimer en 3D des organes et que nous pourrons concevoir des organes à partir de cellules souche, il y aura un excès d’organes, d’organes sans corps, d’organes dans l’attente de corps.
Corps suspendu / peau étendue
Avoir une idée est insuffisant, la mise en pratique est essentielle. La réflexion n’est pas suffisante. Les performances de corps suspendus sont des spectacles de sensations. Des paysages de peau tendue. Ce sont des expériences de sensation corporelle qui se passe d’explication ou d’interprétation. Il n’y a pas là acte d’affirmation ou d’information, mais cela repose sur l’intensité de l’affect. Et sans recourir à un vocabulaire d’expression émotionnelle. Ces performances ne sont jamais destinées à générer une signification. Tout au contraire. Ce sont plutôt des actions d’effacement. Juste des paysages de peau tendue. Des sites d’indifférence et de vide. Le corps suspendu est un corps zombie, sans esprit propre ni sans esprit du tout dans le sens traditionnel et métaphysique du terme. La performance commence quand le corps s’arrête de penser et se lance dans l’action. Avec le récent « Ear On Arm Suspension », « Suspension Oreille sur Bras » (2012), la performance commence quand le corps est hissé hors de la sculpture et se termine quand le corps est redescendu sur la sculpture. Un contrepoint d’échelle entre un corps suspendu avec une oreille à son bras sur une sculpture beaucoup plus grande de son bras. Le corps est doux et vulnérable et la peau en est la limite adaptée. En tant qu’un des plus grands organes du corps, elle est peuplée de multiples capteurs tactiles, de pression, de douleur, de chaleur. Le pincement, le percement et l’étirement de la peau est ce qui constitue la rencontre risquée d’un corps suspendu dans des espaces de frottement, de poids, de collision et de gravité. Le corps est étendu entre l’attraction intérieure de la gravité et la poussée extérieure de l’information. Il est étendu entre ce qu’il n’a jamais été et ce qu’il ne peut jamais espérer devenir. La position/orientation du corps dans l’espace qu’il occupe ne renvoie à rien d’autre, à aucun ailleurs. Le corps pend ontologiquement exténué et ambivalent, exposant ses insuffisances et proclamant sa profonde obsolescence. Le corps suspendu n’est pas un sujet, mais plutôt un objet. Pas un site pour la psyché ni pour l’inscription sociale. Agencement et intentionnalité disparaissent en une ontologie unifiée d’autres objets et entités qui interagissent entre eux. Le corps n’est pas un objet de désir (de la part d’un autre), mais un objet qui demande à être redessiné (inadéquat par lui-même).
Peaux / soi-même / extrusion
En tant que corps doux et instable, nous fonctionnons de plus en plus dans des espaces d’information abstraits et à grande échelle, par-delà l’expérience subjective. Nous caressons notre peau, notre cœur bat avec constance, nous gonflons sans cesse nos poumons avec de l’air et nous lançons un regard de façon irrégulière à autrui. Mais le corps s’expérimente lui-même comme en partie physique, en partie à l’état de fantôme ; alourdi par la gravité, mais localisé dans aucun endroit particulier. D’autre part pour les autres, nous surgissons et disparaissons, en connexion et déconnexion, apparaissant ici et là, comme des corps fantômes - comme des disfonctionnements dans le temps biologique. Les peaux s’affaissent sur les écrans, devenant des surfaces séduisantes et interactives. Les peaux sont tendues, soi-même est extrudé. Les images génèrent un vocabulaire tout en vivacité, qui donne de la vie à nos fantômes. Nos corps se dissolvent maintenant dans des flux de données qui circulent en se basant sur nos données biologiques détachées et mises en réseau. Intégrés dans de vastes systèmes mécaniques de connaissances artificielles et de calculs d’ordinateur. Ce qui est monstrueux, ce n’est pas le corps démodé fait de chair recousue, mais le système qui absorbe le moi pour le transformer en virtuel. Dans les espaces liminaires de prolifération des Corps Prothèses, faits de Vie Partielle et de Vie Artificielle, le corps est devenu un signifiant flottant.
Réalités mixtes, augmentées & à distance
Nous sommes de plus en plus sollicités pour réaliser des performances en Réalités Mixtes et Augmentées et nous interagissons le plus souvent à distance avec d’autres personnes et d’autres ordinateurs dans d’autres endroits. Nous sommes reliés physiquement, transférés dans des endroits éloignés et nous sortons de notre corps avec des yeux mobiles et des cacophonies de voix qui transitent. Bien que nous soyons encore des organismes biologiques, nous sommes maintenant accélérés par nos machines, augmentés par nos instruments et nous devons de plus en plus gérer des flux de données dans des systèmes virtuels. Et donc le corps devient cette chimère contemporaine de Viande, Métal & Code et devient un système opérationnel augmenté. Le corps n’est ni tout à fait ici ni tout à fait là. Mais en partie ici (en tant que ce corps) et en partie ailleurs (en tant que d’autres corps). Il performe au-delà de la limite de sa peau et au-delà de l’espace local qu’il habite. Le fait d’être agent unique, situé dans un seul endroit, performant simplement comme un corps biologique, est démodé et inadéquat. Dans le futur, un corps sera un corps à agencement multiple. Un corps que l’on possède et performant sera simultanément mis en branle non seulement par des gens dans d’autres endroits, mais aussi par des flux de données sur internet. Le corps schizoïde devient un Corps Scindé (non pas un esprit scindé / un corps, mais un corps physique scindé). Les corps deviendront des portails pour d’autres gens dans d’autres endroits. Imaginons-nous en train de voir avec les yeux de quelqu’un à Paris tandis qu’on entendrait avec les oreilles de quelqu’un d’autre à Los Angeles, tandis que quelqu’un à Tokyo aurait accès à votre bras gauche et accomplirait une tâche à laquelle votre bras droit collaborerait. Les corps s’annihilent à la surface d’un écran électronique fait d’expériences sensorielles et haptiques - un écran électronique qui a une épaisseur à la fois optique et haptique. Des corps éloignés deviennent des effecteurs finaux pour d’autres corps dans d’autres places et pour d’autres machines dans d’autres endroits, générant des mises en boucle interactives et des chorégraphies récursives. La Chair Fractale prolifère. La Chair Fantôme devient puissante.
Etre en vie : les avatars n’ont pas d’organes
Quand nous pouvons les fabriquer, nous obtenons une croissance de cellules souches ou de matériel bio – un tératome qu’on imprime – comme un morceau de tissu vivant dont la peau est mince, dont les muscles se crispent, dont les orifices soupirent – et nous pouvons le caresser et l’explorer, nous aurons une œuvre d’art plus puissante qui examinera la signification du fait d’être vivant et la signification du fait d’être un humain. Ce qui constitue le fait d’être vivant nécessite qu’on s’interroge. Il y a maintenant une prolifération de ces espaces limites où la notion de corporalité est floue. En ce qui concerne le bio-art, la robotique ou les entités virtuelles, pour prouver qu’on est dans du vivant, il faut être dans un corps et qu’il y ait interaction (sensibilité et expressivité). Pour fabriquer des architectures anatomiques et provoquer des actions. Dans cet âge de Chair en Circulation, de Chair Fractale et de Chair Fantôme, qu’est-ce qu’un corps, comment un corps opère-t-il et qu’est-ce qui constitue son caractère vivant, tout cela est devenu problématique. Modification génétique et corps augmenté par la machine créent du monstrueux. Une fois que l’on a un corps aux limites, le monstre est maintenant monnaie courante, fabriqué industriellement, multiplié et transformé en marchandise. Nous sommes maintenant envahis par des corps Cyborg et Zombie, devenant de plus en plus des automates et des êtres involontaires. Un cyborg est un système hybride homme-machine, un Zombie n’a pas d’esprit propre et agit malgré lui. Nous avons peur de ce qui est involontaire et nous sommes angoissés devant le risque de devenir des automates.
Mais ce que nous avons toujours été et ce que nous sommes déjà devenus nous fait peur. Il n’y aura pas de Singularité, seulement une multiplicité de Futurs contestables qui peuvent être sources d’examen et sujets d’évaluation, peut-être de manière appropriée mais plus probablement comme objets de rejet. Il y a déjà prolifération concurrentielle de constructions de cyborgs. Des corps de militaires et de personnages de mangas massivement améliorés par des exosquelettes mécaniques ne sont qu’une des possibilités. Toute technologie dans le futur pourrait, d’autre part, être invisible parce qu’à l’intérieur du corps - le corps comme un hôte pour une nano-recolonisation de son intérieur. Il faudra davantage de surveillance, mais pas seulement des espaces publics. On aura besoin d’implanter une surveillance médicale interne du corps, et il faudra déployer des nano-senseurs et des nano-bots. Peut-être le corps pourra-t-il être l’objet d’un redesign, atoms-up*, inside-out nano-robots**, de façon si incroyable que ce qui pourrait se passer n’aurait aucun sens, ni si on interrompait l’opération. Mais peut-être l’âge du post-humain pourrait ne pas se passer dans le domaine des corps et des machines mais plutôt dans le domaine d’entités virales, avec le support des média électroniques et du Web. Ces entités interactives et opérationnelles peuvent être comprises comme étant des images. Les corps et les machines sont pesants. Ils ont à opérer dans la gravité, avec du poids et des frottements. Les images agissent à la vitesse de la lumière. Elles performent dans la douceur et dans la transparence. Les corps sont éphémères, les images sont immortelles. Les avatars n’ont pas d’organes. Les questions d’identité et d’alternance, les expériences intimes et involontaires du corps aussi bien que l’échelle télématique de l’expérience deviennent plus importantes. La technologie est insérée et contenue. Des interfaces Actuelles-Virtuelles permettent au corps de performer dans des espaces électroniques. Ce qui devient important n’est pas simplement l’identité du corps, mais sa connectivité – non sa mobilité ou son emplacement, mais son interface.
Futurs contestables
Cela n‘a plus de sens d’imaginer avoir son propre esprit, ni aucun esprit du tout dans le sens métaphysique traditionnel du terme. Le corps traumatisé habite des espaces proliférant de stress et d’ambivalence. Ce que cela signifie d’être un humain est peut-être de ne pas rester humain du tout. Le pathologique et le pervers deviennent la promesse poétique de la chimère. L’artiste ne peut pas faire mieux que d’être à l’origine d’actions esthétiques – mais de celles qui transgressent, perturbent et génèrent des possibilités alternatives. Une transition du psycho-corps au cyber système devient nécessaire pour fonctionner de manière efficace et intuitive, avec une disparition dans des endroits éloignés, des situations accélérées et des architectures interactives complexes. Un corps peut-il faire face à des expériences d’absence extrême et d’action aliénée sans devenir dominé par des peurs métaphysiques périmées et des obsessions d’individualité et de libre pouvoir ? Un corps devrait donc faire l’expérience de sa réalité, pas tout entière présente dans ce corps, mais en partie ici, et en partie projeté là. Ceci génère un vide radical, non pas par manque, mais plutôt par un excès de ses hyperliens. Une extrusion de sa subjectivité. En tant que corps, notre sensibilisation et notre fonctionnement sont maintenant élargis, interagissant et fonctionnant avec d’autres corps et d’autres machines effecteurs au final. Le corps agit avec indifférence. L’indifférence en tant qu’opposée à l’attente. Une indifférence qui permet que quelque chose d’autre arrive, qui permet un déploiement – dans son propre temps et avec son propre rythme. Une indifférence qui permet au corps d’être suspendu avec des crochets dans sa peau, qui permet l’insertion d’une sculpture dans son estomac et qui permet à une oreille d’être chirurgicalement construite et cultivée à partir de cellules souche sur son bras.
Architectures anatomiques alternatives
C’est un impératif de l’évolution de construire des architectures anatomiques alternatives. L’artiste a performé avec une « Troisième Main », un « Corps Virtuel », un « Bras Augmenté » et un « Exosquelette » (une machine à marcher avec 6 jambes). Avec « Le Propulseur : un Corps sur un Bras Robotique » (2016), la trajectoire du corps, sa position / son orientation et sa vitesse étaient chorégraphiées par un bras de robot industriel de grande taille. Le projet « Ear on Arm », « L’Oreille sur le Bras » consiste à construire chirurgicalement par croissance cellulaire une oreille sur l’avant-bras. Après qu’une structure creuse soit insérée sous la peau et qu’un vide soit créé sous la peau autour de la structure, les cellules croissent dans le biomatériel poreux, et après six mois, la croissance du tissu et la vascularisation se font. L’oreille est maintenant fusionnée au bras avec son propre approvisionnement en sang. À présent, ce n’est que le relief d’une oreille. Une chirurgie supplémentaire est nécessaire pour soulever l’helix de l’oreille pour introduire une oreillette et un lobe d’oreille mou doit croître avec les propres cellules souche de l’artiste. Celles-ci seront répliquées in-vitro, puis ré-injectées in-vivo. Après que l’oreille soit devenue davantage une structure à trois dimensions, elle sera électroniquement augmentée pour être activée par internet de n’importe quel point d’accès wifi. Ceci a déjà été testé. Un micro a été inséré dans l’oreille durant la seconde opération chirurgicale. Même quand le bras était encore enrobé partiellement de plâtre et enveloppé dans des bandages et même lorsque le chirurgien portait encore un masque sur son visage, le son était capté par le microphone et envoyé par transmission sans fil. Une structure du corps a été répliquée, délocalisée et sera re-câblée avec des capacités ajoutées. Ayant évolué avec des organes internes mous pour un meilleur fonctionnement biologique, on peut maintenant fabriquer des organes externes additionnels pour une meilleure interface et pour agir sur le terrain des technologies et du paysage médiatique qui est notre habitat maintenant. Des organes internet. Des Organes Virtuels. L’oreille devient comme un Smartphone, un organe acoustique accessible par les gens dans d’autres endroits. Une personne à Melbourne serait capable d’entendre ce que l’oreille entend à Londres ou à New York, où que vous soyez et où que je sois. Chacun sera au moins à deux places à la fois. De façon interchangeable, comme un corps physique à un endroit et comme un corps fantôme à un autre endroit. Avec des mises en boucle d’information immédiates et adéquates, les corps entreront en collision dans une scène électronique d’expériences sensorielles et physiques - une scène électronique qui a une densité à la fois optique et haptique. La Chair Fractale prolifèrera, la Chair Fantôme deviendra active. Durant la performance « Re-Wired / Re-Mixed », « Re-Câblé / Re-Mixé » (2016), l’artiste pouvait ne voir qu’avec les yeux de quelqu’un à Londres, pouvait n’entendre qu’avec les oreilles de quelqu’un à New York, tandis que quelqu’un, quelque part pouvait avoir accès à son exosquelette à 6 possibilités de mouvements et chorégraphier les mouvements de son bras droit. Sa vision était déconnectée de ce qu’il entendait et son bras était déconnecté de la possibilité de le faire bouger. Le corps a ainsi performé pendant cinq jours, six heures par jour, sans s’arrêter. Un corps désemparé et dispersé dont les sens et un des membres étaient externalisés en d’autres lieux. Il faut imaginer une synesthésie non à travers un seul corps câblé mais une synesthésie expérimentée à travers les sens câblés venant d’autres corps dans d’autres endroits.
Interfaces actuelles / virtuelles
Dans les espaces liminaires et proliférant du vivant et de son fonctionnement, le corps est devenu un signifiant flottant. Le corps désire ce qu’il ne peut jamais être, parce que ses désirs sont générés non par lui-même mais par un autrui collectif. Mais il désire ce que, sans le savoir, il est déjà devenu. Les problèmes d’identité et d’expériences alternatives, intimes et involontaires du corps, aussi bien que la dimension télématique de l’expérience, deviennent de plus en plus élastiques. Dans cet âge de corps piraté, de gènes cartographiés, d’augmentation par des prothèses, d’échange d’organes, de greffes de visage et de peau synthétique, qu’est-ce que cela signifie d’être un corps, qu’est-ce que cela signifie d’être un humain ? Et ce qui génère du vivant et le fonctionnement du vivant deviennent problématiques. Peut-être l’âge du posthumain peut ne pas être dans le domaine des corps et des machines, mais plutôt dans le domaine d’entités virales, avec le support des médias électroniques et d’internet. Il y a maintenant plus d’agents artificiels que d’agents humains infiltrant et infectant internet, avec des bots malveillants tels que « Scrapers » (vol de contenus de sites et duplication de ces sites), « Spammers » (introduction de logiciels malveillants), « Hackers » (vol de données informatiques) et « Impersonators » (piratage de votre personnalité) continuant à proliférer. La vie biologique est maintenant de plus en plus contaminée par des entités numériques et du code exécutable. Les corps et les machines sont lourds. Ils doivent fonctionner avec la gravité, le poids et les frottements. Les images fonctionnent à la vitesse de la lumière, agissant dans la douceur et dans la transparence. Les corps sont éphémères, les images sont immortelles. Les avatars n’ont pas d’organes. Imprégner un avatar avec une intelligence artificielle et fabriquer des interfaces virtuelles-actuelles, rendra possible des avatars autonomes pour accéder à un corps physique et agir avec lui dans le monde réel. Un système inverse à la « motion-capture »***. Vaudou virtuel. Et à une plus grande échelle, un avatar pourrait simultanément agir avec plusieurs corps de substitution dans de nombreux espaces et dans des situations d’urgence. Il y a un flou croissant entre actualité et virtualité dans l’ensemble d’une tâche opérationnelle, avec le corps et ses fantômes glissant en toute transparence entre les deux. La virtualité devient virale. L’intelligence manufacturière signifie orchestrer de l’intentionnalité, des systèmes interactifs qui répondent de manière cognitive et agissent de manière appropriée dans le particulier et dans des situations imprévisibles, et avec comme conséquence générale le conditionnement et l’apprentissage. Les agents artificiels pourraient alors prendre possession et agir avec une intelligence artificielle, une perception sensorielle étendue et un affect d’expérience artificielle. Une physiologie de machine pourrait générer une phénoménologie de machine. Les premiers signes d’une intelligence d’alien pourrait bien venir de cette planète.
* Terme scientifique. Méthode pour générer de nouveaux atomes.
** Recherche consistant à introduire des nano-robots dans le corps, notamment pour détecter des maladies.
*** Dans les jeux vidéo, procédé qui consiste à enregistrer à l’aide de capteurs les mouvements d’un acteur pour animer un personnage artificiel numérique.
Stelarc interroge les questions du possible, de l’identité et du posthumain. Parmi ses performances, citons Third Hand, Troisième Main, Stomach Sculpture, Sculpture Stomacale, et Exoskeleton, Exosquelette, un robot qui marche sur 6 jambes. Fractal Flesh, Chair Fractale, Ping Body, Corps de ping (ping, signal envoyé par un ordinateur pour déterminer la présence d’un autre) et Parasite sont des performances internet qui explorent une chorégraphie involontaire, commandée de l’extérieur. Par la chirurgie, il est en train de se faire construire une oreille sur son bras à partir de cellules souche, qui sera activée par internet. En 1996, il est fait Professeur Honoraire d’Art et de Robotique à la Carnegie Mellon University de Pittsburgh. En 2010, il reçoit le prix « Ars Electronica Hybrid Arts » à Linz.
Source :
Extrait de Technocorps et Cybermilieux in Inter, art actuel n°128, Les éditions Intervention, 2018