Michael Asher

Cette exposition est consacrée à l’artiste américain Michael Asher, dont la démarche ne vise pas à produire un objet (peinture ou sculpture) mais à perturber, le temps d’une exposition, l’espace muséal dans lequel il inscrit sa présence.

Du 30 juin au 2 juillet 1990, Michael Asher a prélevé au rayon de la psychanalyse de la Bpi, l’ensemble des fragments de papier laissés par les lecteurs dans les livres. Dans cinquante-sept livres du rayon il a trouvé soixante-sept fragments de papier : tickets de métro, marques de page, publicité pour des services divers, notes, etc.

Ce sont de dérisoires objets auxquels nul ne prête d’ordinaire attention. Leur ensemble constitue pourtant l’apport des lecteurs à la bibliothèque : c’est en somme la sédimentation, le reste, de l’activité de lire et de la manipulation des ouvrages. Mais ce reste n’est organisé ni par l’institution, ni par les lecteurs. C’est un reste libre, fortuit : chaque fragment provient soit du hasard, soit de la volonté individuelle (ou du désir individuel) d’un lecteur de laisser dans un livre une trace de son passage. Chaque fragment désigne donc une présence, celle d’un lecteur inconnu, mais aussi son absence ; et la somme des fragments n’est que le témoignage, discret, inorganisé, de la rencontre du public et de l’organisation du savoir et de la connaissance dans l’institution de la bibliothèque. [… Ainsi] Asher rend visibles ces circulations immatérielles qui traversent aussi le Centre : celle de la connaissance organisée et régulée par l’institution, et celle, fragile, dérisoire au regard du système de la culture, du désir de savoir.

En demeurant fidèle à son principe de départ de n’utiliser comme matériel que ce qui existe dans le lieu d’exposition, l’œuvre de Michael Asher a réussi d’une part à ne produire aucun objet durable – qui puisse être commercialisé –, d’autre part à ne jamais se constituer elle-même en genre ou en style. Elle est restée ce qu’est toute œuvre d’art avant sa transformation en marchandise : un dispositif à produire du sens.

D’après Jean-Michel Foray, Le Magazine, n°64, 15 juillet-15 septembre 1991