Ola Maciejewska, dans le sillage de Loïe Fuller
À 37 ans, la danseuse, chorégraphe et performeuse polonaise Ola Maciejewska vit et travaille en France. Après divers apprentissages dans son pays natal (gymnastique, folklore et formation classique à l’École nationale du ballet de Bytom), elle choisit la voie du contemporain. Elle développe depuis 2011 Loïe Fuller: Research, qu’elle a présenté dans toute l’Europe, notamment à la Biennale d’art contemporain de Lyon, 2017. Cette performance, qui s'inspire de la « Danse serpentine » de Loïe Fuller, reste une matrice qu’elle ne cesse de développer. En 2014, elle réalise COSMOPOL, un film expérimental, et crée TEKTON, son premier solo, avant des pièces de groupe où elle invente un nouveau genre de concert dansé. Elle travaille à une nouvelle création solo et à des projets de transmission autour de Loïe Fuller.
Parlez-nous de la robe que vous portez pour votre performance…
Ola Maciejewska — La robe de la « Danse serpentine » de Loïe Fuller n’est pas vraiment une robe. C’est plutôt une « dance construction », une « construction dansée », pour citer la danseuse Simone Forti. Soit un assemblage fait de bâtons, de tissu, d’un corps et de sons, dans une boucle active qui fait du bruit. Plus que la figure « magique » de Fuller, l’une des artistes les plus reconnues du modernisme en danse et une individualité libre de corps et d’esprit, c’est la tradition et le motif de la « Danse serpentine » qui jouent un rôle central dans mon travail. C’est un déploiement joyeux de formes changeantes, évoquant la relation entre la sculpture et le sculpteur. Ici, la pratique physique recrée le mouvement de la matière quand elle prend forme : un mouvement qui naît de la relation entre le corps humain et cet objet qu’est la « Dancing Dress », ou « robe à danser ». L’idée de cet exercice n’est pas d’accentuer l’élan qui nous incite à vivre une relation physique avec les choses, mais plutôt de créer des formes qui rendent cette relation visible.
La robe de la « Danse serpentine » de Loïe Fuller n’est pas vraiment une robe. C’est plutôt une « construction dansée », soit un assemblage fait de bâtons, de tissu, d’un corps et de sons, dans une boucle active qui fait du bruit.
Ola Maciejewska
Mon travail autour de la « Danse serpentine » prend ainsi pour point de départ les principes des sculptures minimales de Robert Morris, qui a inauguré le mouvement minimaliste en élaborant ses premiers objets, ni peintures, ni sculptures, et ses formes géométriques, tout en explorant les connexions entre les arts visuels et la danse. Pour décontextualiser et réinterpréter cette danse, ce qui m’intéresse toujours et d’abord, c’est la danse, mon rapport au mouvement, les possibilités d’un corps pour créer des choses. Pour Bombyx Mori, que j'ai déjà présenté au Centre Pompidou, trois danseuses reprennaient les mêmes métamorphoses affolantes de la « Danse serpentine », liées à la force centrifuge des mouvements imprimés au tissu des robes. Qu’est-ce que cette pratique peut donner dans d’autres corps ?
Pourquoi privilégier le solo aujourd’hui avec Loïe Fuller: Research ?
OM — Dans le contexte actuel, je dirais « solo is a lockdown », le solo est une forme de confinement… Cette pratique qui me passionne, qui me permet aussi d’anticiper d’autres danses, représente sans doute un désir d’isolement, de silence, un besoin de concentration sur soi-même, sur son propre corps, sans autre outil. « Avoir du temps et une chambre à soi », pour reprendre l’expression de Virginia Woolf… Le solo est comme une chambre à soi, nécessaire au temps de la réflexion sur les moyens de son travail, à la sobriété du geste, nécessaire à l’émancipation et à la liberté. Si le solo est relié au sujet, il est surtout relié au « process », au processus de travail. C’est en cela qu’il est fondamental pour moi qui cherche encore et toujours le moment de l’émergence du mouvement, qui fait que quelque chose se produit et pourra se produire dans un autre cadre. Car dans le solo, le corps qui bouge n’est jamais seul. Il est toujours connecté à son environnement, au monde naturel, à d’autres disciplines, à l’histoire, à des souvenirs, à des fantômes même… Mon nouveau solo dansé sera une évocation de toutes ces présences plus qu’une construction de danse, une évocation de toutes ces choses qui existent lorsqu’on produit du mouvement, un écosystème, une manière de tenter de briser la tradition occidentale de « l’anthropocène ». Le mouvement m’intéresse dans une perspective à la fois analytique, poétique et plastique. C’est pourquoi Loïe Fuller reste plus pertinente à mes yeux qu’Isadora Duncan, dont les danses veulent être l’expression de sa personne et de sa subjectivité. Tandis que Fuller a renversé cette conception en représentant un mouvement comme hors d’elle-même, un mouvement derrière lequel elle disparaît.
Le mouvement m’intéresse dans une perspective à la fois analytique, poétique et plastique. C’est pourquoi Loïe Fuller reste plus pertinente à mes yeux qu’Isadora Duncan, dont les danses veulent être l’expression de sa personne et de sa subjectivité.
Ola Maciejewska
Quel regard portez-vous sur l’appropriation et la transmission ?
OM — J’aime souvent associer l’appropriation, une stratégie de création intemporelle, à l’invocation de fantômes. La danse est un art relationnel, avec l’espace, le spectateur. Mais la danse ne crée pas d’unité, elle ne crée pas une vérité universelle, elle est une et multiple. Mon approche de la « Danse serpentine » est donc une relecture très personnelle. Une danseuse ne fait pas que danser, elle lit et elle « écrit ». La danse est un langage qui s’invente en attendant « l’événement ». Loïe Fuller a écrit ses danses, ses scénographies, les a éditées et souvent coproduites. Transmettre une tradition oubliée, c’est une question de traduction et de montage. ◼
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© Martin Argyroglo