Le grand chinois

Après une longue période de formation marquée par des séjours en Europe, où il prend connaissance des œuvres de Piero Manzoni et de Pino Pascali, Paul Thek apparaît sur la scène américaine de l’art des années 1960 comme l’un de ceux qui, avec Eva Hesse, réintroduisent des dissonances organiques et émotives dans le langage neutre et froid de l’art minimal. Ses « Technological Reliquaries » (1965-1967), par exemple, présentent des fragments de chair (réalisés en cire) dans de géométriques emboîtements de Plexiglas. Aussitôt après, tout en réalisant de vastes installations avec l’aide de son groupe d’artistes, la Artist’s Co-op, fondée en mars 1969, il revient à des pratiques picturales plus classiques dont Le Grand Chinois témoigne. Composée d’une grande huile sur toile encadrée par deux tableaux de petites dimensions, l’œuvre se rattache à une série de triptyques commencée à Amsterdam deux ans plus tôt, vues aquatiques peuplées de créatures monstrueuses. Dans l’un deux, des amanites prospèrent inexplicablement sur une étendue d’eau agitée de vaguelettes ; ici, ce sont des plumes d’oiseau qui pointent leur extrémité aux quatre coins de la toile. De part et d’autre, la silhouette d’un saurien préhistorique – nettement phalloïde dans le tableautin de gauche – émerge de la mer primordiale. Cette iconographie étrange n’est cependant pas sans antécédent : elle rappelle les peintures de monstres antédiluviens que réalisait Robert Smithson, près de dix ans plus tôt. La longue lignée qu’elles forment avec celles de Paul Thek désigne une sorte de refoulé fantasmatique de l’art minimal et postminimal.

Arnauld Pierre

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007