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Une lectrice nommée Marilyn Monroe

Joyce, Dostoïevsky, Flaubert… On le sait peu, mais l'actrice des Désaxés fut aussi une grande lectrice. Plongée dans la bibliothèque d'une icône, à l'heure où le festival Extra! s'intéresse au mythe littéraire Marilyn, tant elle inspira (et inspire encore) auteurs et autrices.

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Associer Ulysse de James Joyce et Marilyn Monroe relève du tour de force. Sous quels auspices se rencontrent un chef-d’œuvre de la littérature, pensée itinérante du commun sublimé, et une icône susurrante ? Quel chemin mène de l’un à l’autre ? Une femme qui relève du fantasme mettant sur pause le tourbillon d’une vie de star pour s’attaquer aux 1664 pages d’un monument ardu, est-ce possible ? Et pourtant. En 1955, sur la plage de Long Island où Eve Arnold lui demande de poser en maillot de bain, Marilyn Monroe, au sommet de sa carrière après avoir joué dans Les hommes préfèrent les blondes et Niagara, choisit pour accessoire non pas un chapeau de paille mais ce livre. Dont elle lit à voix haute les dernières pages. À savoir le dix-huitième chapitre consacré au soliloque de Molly Bloom, dédale de réflexions en forme de monologue intérieur.

 

Sur ses étagères reposent en vrac et en tout éclectisme du Dostoïevsky, du Faulkner, du Khalil Gibran, des poèmes de Yeats, le frissonnant Gatsby le magnifique, quelques recueils de recettes de cuisine, un ouvrage de savoir vivre How to do it or the lively art of entertaining (« l’art de recevoir ») d’Elsa Maxwell et même le Madame Bovary de Flaubert.

 

Si Marilyn met sur pause la fulgurance de ses apparitions radieuses pour s’adonner au temps introspectif de la lecture, c’est qu’elle aime ça : les pages, les mots, leur assemblage. Depuis longtemps elle y puise sa consistance. Ce sont eux qui lui donnent l’envie de s’exprimer à travers la psychanalyse, de prendre des cours de théâtre, la font progresser de corps ondulant à esprit pensant. En 1951, à l’hôtel Beverly Carlton, le photographe John Florea la surprend déjà en train de lire ce qu’on appelle depuis la fin du 19e siècle un « self-help book » (ou livre de développement personnel) How to develop your thinking ability (« Comment développer sa capacité de penser »). En 1952, alors qu’elle ne tourne que des films mineurs, elle suit à UCLA des leçons de littérature. Elle qui est toujours en retard, on la voit sortir des studios avec précipitation pour assister aux cours du soir de 18h30. En 1960, elle confie à un journaliste français « c’est là que j’ai commencé à lire beaucoup, et des écrivains merveilleux ».  

Marilyn a donc 26 ans quand elle commence à caresser de sa curiosité nombre d’ouvrages qui viennent alimenter peu à peu une bibliothèque d’environ quatre cents livres qui seront vendus aux enchères chez Christie’s, à New York, en 1999.  Sur ses étagères reposent en vrac et en tout éclectisme du Dostoïevsky, du Faulkner, du Khalil Gibran, des poèmes de Yeats, le frissonnant Gatsby le magnifique, quelques recueils de recettes de cuisine, un ouvrage de savoir vivre How to do it or the lively art of entertaining (« l’art de recevoir ») d’Elsa Maxwell et même le Madame Bovary de Flaubert qui lui permet d’entrer par effraction dans la vie monotone et frustrante d’une épouse de province dont elle ne saura jamais rien à titre personnel.

 

À 28 ans, quand elle se rend à New York après avoir rompu son contrat avec la 20th Century Fox, Marilyn est suffisamment curieuse d’un univers intellectuel pour se lier d’amitié avec la romancière Carson McCullers. C’est cette dernière qui lui présente l’homme de plume et de potins le plus en vue de l’époque, Truman Capote.

 

À 28 ans, quand elle se rend à New York après avoir rompu son contrat avec la 20th Century Fox, Marilyn est suffisamment curieuse d’un univers intellectuel pour se lier d’amitié avec la romancière Carson McCullers. C’est cette dernière qui lui présente l’homme de plume et de potins le plus en vue de l’époque, Truman Capote. Très vite, ils ne se quittent plus, se livrent à des confidences potaches sous forme de joutes oratoires. Peut-elle lui faire confiance ? Il relatera un épisode de leurs dialogues savoureux dans une nouvelle intitulée « A beautiful child » parue en 1980 dans l’ouvrage Musique pour caméléons. Une trahison ou un hommage dont elle ne sera pas, faute de concordance de temps, la lectrice, elle dont le cœur se met par ailleurs à battre pour un écrivain. À 29 ans, Marilyn sort d’un mariage chaotique avec le joueur de baseball Joe DiMaggio quand elle souffle à son épouse le scénariste à succès d’Hollywood placardisé par le maccarthysme, Arthur Miller, pour vivre une histoire d’amour. Il dira d'elle : « Elle était un poète au coin de la rue essayant de réciter ses vers à une foule qui lui arrachait ses vêtements ». Elle laissera entendre qu’il ne faut pas être sotte pour lui avoir plu. Mais Marilyn, à qui les patrons de studio ont ri au nez lorsqu’elle a exprimé le désir de jouer Grouchenka, un personnage de femme humiliée dans sa jeunesse qui fait face à ceux qui l’offensent dans Les frères Karamazov,  ne trouve pas l’apaisement. En 1961, elle divorce de Miller. Que valent parfois la vanité des humains face à la sérénité trouvée dans les pages ? À son chevet reste un magnifique compagnon de vie. Le recueil de poèmes de Walt Whitman, « Feuilles d’herbe », ode à la sensualité. Et ces vers en particulier extraits de « Je chante le corps électrique » : « Qui doutera que ceux qui corrompent leurs corps se masquent à eux-mêmes ? / Qui doutera que ceux qui souillent le vivant ne valent pas mieux que ceux qui souillent les morts ? / Qui doutera que le corps agisse aussi pleinement que l'âme ? / Le corps ne serait pas l'âme ? Dans ce cas, l'âme quelle est-elle ? » Autant d’interrogations qui la traversent encore et encore quand, à 36 ans, épuisée par la recherche d’elle-même et de son sens, elle disparaît dans un flot amer de médicaments. Point final à une vie toujours romanesque, rarement romantique. ◼