La Suspension
1963
La Suspension
1963
Ámbito | Dessin |
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Técnica | Mine graphite sur papier |
Medidas | 50 x 32,5 cm |
Adquisición | Achat, 1992 |
Inventario | AM 1992-114 |
Información detallada
Artista |
Alberto Giacometti
(1901, Suisse - 1966, Suisse) |
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Título principal | La Suspension |
Fecha de creación | 1963 |
Ámbito | Dessin |
Técnica | Mine graphite sur papier |
Medidas | 50 x 32,5 cm |
Inscripciones | S.D.B.DR. : Alberto Giacometti 1963. |
Adquisición | Achat, 1992 |
Sector de colección | Cabinet d'art graphique |
Inventario | AM 1992-114 |
Análisis
L’exercice du dessin est pour Giacometti, depuis toujours et jusqu’à sa mort, en 1966, le moyen nécessaire pour « voir » – comprendre ce qu’il voit quand il regarde et ce qu’il retient quand il dessine (qu’est-ce que copier ? qu’est-ce que la « ressemblance ?) – et le blanc de la feuille constitue le lieu le plus immédiat d’une tentative sans trêve, sans fin, pour arracher au vide la présence vivante de l’être ou de l’objet qui lui fait face. Tête, pomme, tabouret, arbre, suspension : inlassablement dessinés, les figures et les objets, toujours les mêmes, hésitent entre l’« être » et le « non-être ». Ces apparitions cristallines, précaires, résiduelles, qui sont en suspens dans le vide de la feuille et disent l’effritement du visible, possèdent paradoxalement une stupéfiante force d’évidence, que le sculpteur désigne comme un « noyau de violence » infracassable.
Tantôt c’est le bâti orthogonal – repris à Cézanne, que Giacometti admirait avec passion – d’un bouquet, d’un arbre ou d’un tabouret, qui lie dans une même unité espaces intérieur et extérieur à l’objet, comme dans cet Atelier (1954). Les griffures rectilignes acérées, au crayon le plus fin, qui rayent littéralement la vitre rectangulaire enfermant la vision, tentent de percer le mystère « ontologique » de cet objet très familier et banal, comme rendu à sa solitude et à son mystère. Expérience fondatrice de l’énigme de toute chose, motif d’angoisse devant l’inquiétante étrangeté du plus connu : « Tous les jours, je me réveillais dans ma chambre, il y avait la chaise avec une serviette dessus, ça m’impressionnait et me donnait presque froid dans le dos, parce que tout avait l’air d’une immobilité absolue. Une espèce d’inertie, de perte de poids : la serviette sur la chaise ne pesait pas, elle n’avait aucun rapport avec la chaise, la chaise sur le plancher ne pesait pas sur le plancher, elle était inerte, comme ça, et ça donnait une espèce d’impression de silence… (« Entretien avec P. Schneider », L’Express, n° 521, juin 1961, repris dans Écrits, 1990). Inlassablement interrogé depuis les deux beaux dessins de L’Atelier de 1932 (Bâle, Öffentliche Kunstsammlung), l’atelier de la rue Hippolyte-Maindron, à Paris, qui constitue le lieu essentiel de fabrique de l’œuvre peint et sculpté, trouve ici avec le tabouret – mais ailleurs ce sera avec le modèle (Annette, Diego, Caroline, etc.) – le noyau architectonique qui lui donne sa mesure et son centre, comme le font les yeux pour le visage. Légères, percées par endroits par les balafres de la gomme, les lignes de cette sorte de grille « le définissent », note son ami Jacques Dupin, « moins qu’elles ne l’évoquent – et l’invoquent – par leur insistance et leur indécision. Cet espace a la particularité d’être à la fois immense et clos. [Il] procède sans doute d’une proportion très précise, d’une densité particulière du vide, d’une certaine vibration de lumière, qu’il suffit de très peu pour obtenir et très peu pour compromettre».
Tantôt c’est, au contraire, un lacis de lignes concentriques, brouillonnées à la hâte, qui fait la « pelote » par laquelle vibre la figure (ainsi le Portrait d’Annette, 1951, MNAM), ou encore un jet de courbes ténues, éparses, qui structure l’espace (Paysage, 1956, MNAM). Dans Intérieur aux fleurs (1959) – un pot de fleurs posé sur la table de la salle à manger de Stampa –, la vision, entièrement concentrée sur la masse en boule du bouquet, qui, comme la suspension au-dessus de la table, tout à la fois cristallise en son centre l’espace et le fait éclater, impose une plus grande complexité graphique. Nouées à leurs racines en arabesques appuyées, branches et fleurs finissent par s’éparpiller au loin et se fondre au treillis orthogonal qui esquisse rapidement l’espace de la salle : pas de limites à l’objet, qui s’ouvre littéralement pour laisser place à l’air et la lumière, soumis à un double mouvement de contraction et de dilatation. Cette instabilité de la vision, en même temps structurée et déstructurée, menacée encore par les coups de la gomme qui trouent, transpercent à l’oblique l’objet et l’espace, est magnifiquement mise en œuvre dans La Suspension (1963), thème majeur (depuis les premiers dessins du début des années 1920) de l’œuvre de Giacometti, et dont il donne en 1948 une version en plâtre (MNAM). La lumière et le vide font de cet objet central de l’espace quotidien une sphère – ou une cage – d’une transparence cristalline, à facettes changeantes, dont le vide secret fascine le sculpteur : le lustre a la présence d’un « être » vivant et mobile, celle d’une boule autour de laquelle – comme autour d’Annette, sa mère, qu’il n’a eu de cesse d’évoquer sous le lustre de la table familiale – rayonne l’espace, dont elle constitue le pivot et auquel elle impose l’harmonie de sa fragile architecture. À cet égard, le lustre peut être considéré comme l’âme de l’œuvre giacomettienne, et sa métaphore.
PERSON - Agnès de La Beaumelle
Source :
Extrait du catalogue Collection art graphique - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Agnès de la Beaumelle, Paris, Centre Pompidou, 2008