L'Apparition

Fils d’un pépiniériste et d’une couturière vivant dans la région de Tours, Bauchant est un élève passionné d’histoire et de mythologie gréco-romaine. Il reprend le métier de son père mais doit partir combattre, en 1914, sur le front des Dardanelles, en Grèce. Il est chargé par l’armée des relevés télémétriques, et commence à peindre des fleurs et des paysages pour son plaisir. À la fin de la guerre, il se réfugie avec sa femme aliénée dans une maison isolée dans les bois pour se consacrer entièrement à la peinture. Au cours des dix premières années de sa carrière, Bauchant peint des tableaux d’histoire qui illustrent les grandes batailles de la Grèce antique (La Bataille des Thermopyles , 1926) ou des scènes bibliques (Adam après son péché , 1925). Les neufs peintures qu’il expose au Salon d’automne de 1921 le font remarquer par Le Corbusier et Ozenfant, qui lui consacrent un article dans L’Esprit nouveau (« Nature et création », n° 19, décembre 1923) le faisant connaître. Selon les souvenirs de Dina Vierny (André Bauchant , 1998, op. cit. ), c’est au Salon d’automne de 1925 que Bauchant, alors inconnu du public, est remarqué par le collectionneur du Douanier Rousseau et des cubistes, Wilhelm Uhde, qui va devenir le plus fervent soutien des peintres naïfs. Deux ans plus tard, la galerie Jeanne Bucher organise la première exposition personnelle de l’artiste : « 1927-1928, Fleurs et paysages d’André Bauchant ». En 1928, Serge de Diaghilev lui commande les décors et les costumes de L’ Apollon Musagète de Stravinsky. L’artiste renoue ensuite avec ses racines rurales (Les Moissonneurs , 1930, legs de Raymond Nacenta en 1981, AM 1981-467) et peint surtout des paysages, des travaux champêtres et des natures mortes de fleurs et d’oiseaux. L’Apparition , qui au Musée complète trois achats de l’État (Massif en fleurs , 1939, acquis en 1950, AM 3127 P ; Fleurs variées , 1950, AM 3127 P, acquis en 1951; Le Fruitier , 1957, acquis en 1957, AM 3995 P), est caractéristique de la fausse naïveté de ses paysages. Elle représente une étrange rencontre : celle de deux hommes, en costume de ville mais chaussés de sabots, et de deux femmes à l’air égaré dans ce bois sombre aux ramures menaçantes. À l’instar de Magritte, qui « mettait en cause le monde réel » en détournant la feinte banalité de ses personnages, Bauchant sait créer des atmosphères inquiétantes et irrationnelles qui séduiront les surréalistes.

Nathalie Ernoult

Source :
Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne , sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007