Coloquio
Dessein d'images
Autour de Giuseppe Penone
10 feb 2023
El evento ha terminado
À l’occasion de l’exposition « Giuseppe Penone, dessins » au Centre Pompidou, et en écho à la double exposition consacrée à l’arte povera au Jeu de Paume et au Bal, cette journée organisée par l'université Paris I-Sorbonne et l'institut Acte (Arts, créations, théories, esthétique) propose de réfléchir à la question de l’image dans l’œuvre de l’artiste italien, aux flux de pensée et de création qui la sous-tendent, comme aux moyens de son élaboration. Second volet d’une rencontre qui s’est déroulée à la Bibliothèque nationale de France en décembre 2021 en lien avec l’exposition « Sève et pensée », cette séance d’études se clôt sur un dialogue avec Giuseppe Penone.
Modération : Laurence Gossart et Jacinto Lageira – Paris 1
Organisé par : Laurence Gossart, Jacinto Lageira, Sarah Matia Pasqualetti, Rodrigue Vasseur
Programme
13h45 - Accueil et Ouverture
14h - Le corps de l’artiste. Empreinte, image, relique
Giuliano Sergio (Accademia di Belle Arti di Venezia)
En Italie, au tournant des années 1960, la question de l’artiste, de son corps et de sa représentation, prend une ampleur étonnante et inattendue grâce aux travaux de Piero Manzoni qui ouvre ce champ en redéfinissant les catégories artistiques de son époque. Dans cette perspective, l’intervention se propose de retracer les enjeux de cette révolution en montrant comme Giuseppe Penone a su saisir cette nouvelle frontière esthétique dans des projets qui – à partir de ses actions dans les Alpi Marittime (1968) et de ses projets Rovesciare i propri occhi (1970) et Rovesciare la propria pelle (1970) – ont offert des issues cruciales pour la sculpture du 20e siècle.
14h30 - Gestes pauvres et intelligence du sensible
Barbara Formis (Paris 1)
Chez Penone, l’art se fait pauvre au sens radical du terme. C’est aux racines de la pauvreté et de la matière que s’instaurent ses tracés et ses dessins. Les gestes de frottage, la douceur du mouvement et les répétitions obstinées se transforment en savoir et la sensibilité se fait intelligence. L’esthétique chez Penone est cette épistémologie matérielle qui permet la rencontre entre l’intelligence et la pauvreté.
Une telle rencontre est hautement politique comme le montre Giorgio Agamben dans De la très haute pauvreté : règles et forme de vie qui prend les règles monastiques comme modèle d’une vie d’exception prônant des valeurs anticapitalistes. Les liens conceptuels entre la gestuelle chez Penone et les formes de vie pauvre chez Agamben permettent de comprendre le rôle renouvelé de l’artiste comme citoyen.
15h - Le dessein de la sculpture
Rodrigue Vasseur (Paris 1)
Jusqu’au 18e siècle s’est indifféremment écrit « dessein » ou « dessin », tant le sens artistique du mot en tant qu’étude préparatoire était intrinsèquement lié à une conception par l’esprit d’un but à atteindre. Du premier dessin pariétal à Penone en passant par Michel-Ange et Rodin, il s’agit de voir à quel point le dessein (pour réhabiliter son ancienne graphie, moins en tant que technique plastique que principe poétique) imprègne le processus sculptural. Le dessein se manifeste dans le geste du sculpteur qui, au premier abord, ne relève pas du dessin à proprement parler : celui consistant par exemple à démembrer les figures en plâtre pour les recomposer (marcottage de Rodin) ou celui consistant à dévoiler la jeunesse de l’arbre (creusements archéologiques de Penone). Le dessin, pourrait-on dire, c’est la sculpture qui n’a pas encore rencontré la matière. La sculpture, en ce sens, pourrait se comprendre comme le dessein qui l’a déjà rencontrée.
15h30 - Questions et pause
16h15 - De la réciprocité à l’écart entre les êtres. Quelques notes sur le motif de la mémoire
Chiara Palermo (Paris 1)
Penone sait être sculpteur sans faire des monuments. Ses œuvres ne sont pas des objets, mais des processus en devenir faits de relations hétérogènes, contradictoires, changeantes, c’est-à-dire éminemment contingentes. En cela, elles contredisent le rêve d’une éternité « hors du temps » qui est à la source de l’utopie monumentale comme de toute définition moderniste de la sculpture. Pourtant ses séries consacrées à la trace, à l’empreinte, à l’écriture, ont au cœur de leurs préoccupations le thème de la mémoire. Notre objectif est d’approfondir l’usage critique que l’artiste fait des notions de mémoire et d’histoire pour expliciter les enjeux éthiques et politiques présents dans son travail, explorer les renversements toujours imminents traversant l’ensemble de l’œuvre et rendant possible les inversions de sens, les ouvertures dans les significations des objets que Penone propose à notre regard. Les relations proposées par l’artiste peuvent être considérées comme des lieux où advient le passage d’un temps « fantomatique » à un présent à remémorer en termes warburghiens, où se re-définissent aussi nos possibilités de partage.
16h45 - Temps croisés : à propos de Struttura del tempo (1992)
Rémi Labrusse (École des hautes études en sciences sociales)
Plusieurs régimes temporels s’entrelacent dans les œuvres de Giuseppe Penone. Un temps incorporé, celui du geste du sculpteur ou du dessinateur, s’y associe à un temps collectivement partagé, celui des grands plis de l’histoire des techniques humaines. Les rythmes de la vie individuelle se trouvent ainsi reliés à des profondeurs temporelles immémoriales. Mais ce lien est dialectique, dans la mesure où ces temporalités, en se croisant, révèlent les contradictions internes, donc la précarité de notre constitution temporelle. En 1992, l’installation Struttura del tempo l’a exprimé d’une manière particulièrement éloquente, qu’il s’agira d’analyser
17h15 - Leaves of Grass. La diffraction de l’individualité. De la poétique matérielle de Walt Whitman à la matérialité poétique de Giuseppe Penone
Sarah Matia Pasqualetti (Paris 1)
Les répétitions « du même » – les mêmes gestes de l’artiste comme les mêmes mots dans les poèmes de l’écrivain – produisent des écarts qui diffractent de l’intérieur la supposée unité individuelle, celle du « je » et de l’empreinte digitale.
Le « moi » qui émerge depuis Leaves of Grass (dans la série de Penone et dans le livre de Whitman) est le produit d'un processus créatif qui se répète au-delà des frontières entre humains et non-humains et rendu perceptible par la poésie et par l’art.
17h45 - La peau du monde : se retourner comme un gant
Renaud Ego
Dans ses notes réunies après sa mort sous le titre Le visible et l’invisible, Maurice Merleau-Ponty ne cesse de méditer sur le fait que « toute vision a lieu quelque part dans l’espace tactile ». Cette synesthésie fondamentale nous fait éprouver la vue comme un toucher : ce qui est lointain s’approche au point de nous atteindre et dans ce toucher de nous exposer, en retour, au dehors. L’enveloppe qui nous contient s’efface. N’aurions-nous pas lieu autre part, « quelque part » où nous serions entrelacés, sans limites véritables et, pour cela, démurés et même démesurés ? Miroir d’une œuvre plus ancienne de Giuseppe Penone, Roverssciare i propri occhi (Renverser ses yeux, 1970), Disegno d’aqua (1992) est un dessin fait de poudre de marbre qui affleure à la surface de l’eau d’un bassin. Semblable aux stries de sable que la marée dévoile quand elle se retire, il figure la phalange d’un corps immense et immensément enfoui mais dont la surface accueille l’image du ciel qui s’y réfléchit. Je partirai de cette œuvre pour explorer ce mouvement de nos yeux qui, nous retournant comme un gant, fait à son tour du monde, une peau.
18h15 - Questions et pause
19h - Dialogue avec Giuseppe Penone et Rémi Labrusse
20h30 - Clôture
Les intervenants
Giuliano Sergio est critique et commissaire indépendant. Il enseigne l’histoire de l’art contemporain à l’École des beaux-arts de Venise. Parmi ses publications : Information document œuvre. Parcours de la photographie en Italie dans les années soixante et soixante-dix (Paris 2015) et Ugo Mulas. Vitalità del negativo (Milan 2010). Il est co-commissaire de l’exposition « Renverser ses yeux. Autour de l'arte povera 1960-1975 : photographie, film, vidéo » (rétrospective de 49 artistes italiens au Jeu de Paume et au Bal 2022 et 2023).
Barbara Formis est maîtresse de conférences en esthétique et philosophie de l’art à l’école des arts de l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne. Membre de l’institut Acte (EA 7539), ses travaux portent sur la philosophie du corps, l’esthétique contemporaine et le pragmatisme avec une attention particulière aux arts vivants (performance, danse, happenings) et à leur rôle au sein des phénomènes sociaux et des pratiques de la vie ordinaire. Elle est co-directrice, avec Judith Michalet, de la collection « Ressorts Esthétiques » aux Publications de la Sorbonne et co-directrice, avec Mélanie Perrier, du Laboratoire du Geste.
Doctorant en esthétique à l’école des arts de l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, Rodrigue Vasseur a d’abord suivi un cursus artistique à l’école supérieure des beaux-arts de Nantes en se spécialisant dans le domaine de la sculpture et de la performance. En parallèle de ses recherches doctorales, Rodrigue Vasseur a co-organisé (avec Sarah M. Pasqualetti) la journée d’études « Giuseppe Penone, une archéologie du devenir », et a récemment contribué au neuvième volume de la revue Sculptures. Il occupe actuellement un poste d’Ater en philosophie de l'art.
Chiara Palermo est maîtresse de conférencs en esthétique à l’université de Paris 1-Panthéon-Sorbonne et directrice de programme au collège international de philosophie de Paris. Elle a collaboré à de nombreux événements culturels en Italie et en France, pour le Centre Pompidou et la galerie-librairie « des femmes - Antoinette Fouque » à Paris. Elle est aussi l’autrice d’articles dans le domaine des arts plastiques, prépare une monographie sur la relation entre peinture et performance (La chair et le geste. Le cas Soutine,) et elle a dirigé cette année le recueil Arte Povera, Monument, contre-monument, histoire (Mimésis)
Rémi Labrusse est directeur d’études à l’Éhess. Il a notamment participé au volume collectif Giuseppe Penone. The Inner Life of Forms, édité par Carlos Basualdo en 2018, et a publié, en 2019, un entretien avec l’artiste, en lien avec l’exposition « Préhistoire. Une énigme moderne » au Centre Pompidou.
Sarah Matia Pasqualetti est doctorante en esthétique à l’école des arts de l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne. Co-organisatrice (avec Rodrigue Vasseur) de la rencontre « Giuseppe Penone, une archéologie du devenir » (BnF, 2021) et chargée de cours en philosophie de l’Art. Elle a été assistante d’exposition et de collection, chargée de production, curatrice pour plusieurs expositions et événements d’art contemporain. Elle co-dirige la publication de l’ouvrage Mais le monde est une Mangrovité (Rotolux, 2023).
Renaud Ego est un écrivain et poète français né en 1963. Auteur d’une quinzaine de livres, il en a consacré plusieurs à l’art rupestre d’Afrique australe (San, éditions Adam Biro, 2000 ; L’Animal voyant, Actes sud / Errance, 2015) et à l’art paléolithique (Le Geste du regard, L’Atelier contemporain, 2017). Les récits réunis dans Une légende des yeux (Actes Sud, 2010) ou les poèmes de La réalité n’a rien à voir (Le Castor astral, 2006) sont aussi traversés par une attention à la question du regard et de l’image. La mémoire du vent, un livre d’artiste réalisé avec Bernard Moninot, a reçu le prix Arcane en 2021. Son dernier livre de poèmes, Vous êtes ici (Le Castor astral, 2021), a reçu le prix Max Jacob en 2022.
Quando
13:30 - 20:30
Dónde
Giuseppe Penone, Soffio di foglie (Souffle de feuilles), 1983
© Adagp, Paris
© Cecilia Laulanne - Centre Pompidou, Mnam-Cci /Dist. RMN-GP