Sans titre

La peinture, chez Marc Desgrandchamps, est une activité singulière qui s’exprime dans le silence de l’atelier. Patiemment, l’artiste expérimente les rapports du dessin et de la couleur, construit l’espace de la représentation. Les personnages, les paysages et les souvenirs d’un lieu qui apparaissent proviennent de photographies qu’il a prises ou de documents d’archives (coupures de presse, par exemple). Ces sources visuelles connaissent à travers les différents tableaux de nombreuses métamorphoses et une certaine instabilité. Les corps semblent notamment en suspension dans des espaces abondamment traités par la couleur. Marc Desgrandchamps donne la priorité à la peinture, laissant au récit une place ambiguë, réelle et secondaire à la fois. Ce grand tableau en quatre panneaux n’a pas de titre, comme la majorité des œuvres de l’artiste. L’immense champ de vision qu’il définit déconcerte. Des oiseaux migrateurs, motifs d’une inquiétante étrangeté, dominent par leur position agressive ce paysage grandiose et désolé. L’indication partielle d’une zone de vie est suggérée par de petits personnages presque transparents qui escaladent ce parcours escarpé. Toutefois, l’indétermination des reliefs et du paysage s’imposent comme une pure abstraction, prenant le pas sur l’évocation pittoresque et naturaliste de ce paysage montagneux. Le balayage intense et structuré de la toile, la définition de grandes zones de couleurs sombres ou claires, comme les coulures apparentes, sont la marque d’un important travail de la peinture. Dans la partie supérieure de la toile, un bleu intense, caractéristique des œuvres récentes de l’artiste, prolonge le tableau vers le lointain, vers la définition d’un espace pictural hors limites.

Jean-Pierre Bordaz

Source :
Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007