Le Violoniste à la fenêtre
[printemps 1918]
Le Violoniste à la fenêtre
[printemps 1918]
Domain | Peinture |
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Techniques | Huile sur toile |
Dimensions | 150 x 98 x 3 cm |
Acquisition | Achat, 1975 |
Inventory no. | AM 1975-260 |
On display:
Detailed description
Artist |
Henri Matisse
(1869, France - 1954, France) |
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Main title | Le Violoniste à la fenêtre |
Creation date | [printemps 1918] |
Place of production | Peint à Nice, Quai du Midi |
Domain | Peinture |
Techniques | Huile sur toile |
Dimensions | 150 x 98 x 3 cm |
Acquisition | Achat, 1975 |
Collection area | Arts Plastiques - Moderne |
Inventory no. | AM 1975-260 |
Analysis
L'année 1917 est une période de mutations, de recherches et de tourment, une charnière importante dans l'évolution de la peinture de Matisse, et aussi dans son rythme de vie et de travail. La Leçon de musique (mai 1917, The Barnes Foundation) est la toile témoin de ce déplacement, et de cette reformulation des données sur lesquelles le peintre avait travaillé les années précédentes : il cherche maintenant à rendre la référence au réel plus immédiatement lisible. La Leçon de musique forme ainsi le pendant de La Leçon de piano (The Museum of Modern Art, New York) peinte en 1916, et offre des réponses provisoires, approfondies dans les années qui suivent. À l'austérité géométrique de la première composition répond une fluidité nouvelle de la ligne et de la couleur, à sa rhétorique moderniste une description plus réaliste et plus détendue de la figure, de la lumière et de l'ombre, à la concentration répond l'assouplissement. La famille de Matisse encore rassemblée début 1917 est sur le point de se disperser. Jean Matisse va s'engager comme mécanicien d'aviation et la santé de plus en plus fragile de Madame Matisse la rendra moins présente.
Matisse s'ouvre alors à d'autres influences que celle, prépondérante, de Cézanne. Il regarde Ingres, Courbet, Manet surtout et se tourne aussi vers d'autres impressionnistes : il a peut-être rendu visite à Monet, en compagnie de Marquet, en mai 1917 justement1. Et à partir de sa première visite à Cagnes fin décembre 1917, il va établir une relation amicale avec Renoir.
Dans ce moment de passage, Matisse décide fin octobre de quitter Paris pour le Midi. Il s'arrête d'abord à Marseille, et chassé par la pluie et le vent, arrive à Nice vers le 20 décembre 1917. Il s'installe à l'hôtel Beau-Rivage, 107 quai des États-Unis. Il demeurera à Nice jusqu'en juin 1918, et y passera désormais à peu près la moitié froide de l'année — de l'automne au printemps. Le premier séjour (hiver 1917-1918) a longtemps été antidaté d'un an, par suite d'une indication d'Alfred Barr, elle-même fondée sur une confusion accidentelle de la famille Matisse sur la date d'une lettre de Matisse à sa femme, datée par erreur par Matisse du 4 janvier 1917 et non du 4 janvier 1918 comme le prouve la série de lettres dans laquelle elle s'insère.2
En arrivant à Nice, Matisse commence par retrouver la pluie, et il ne découvre qu'après des semaines la lumière argentée qui devait le retenir si longtemps. Il est dans un état d'esprit étrange, précaire. « Il faut bien mesurer que Matisse, arrivant à Nice à la fin de 1917, est proche de la cinquantaine. Il est alors déjà considéré par tout ce qui compte comme l'un des deux grands maîtres du XXe siècle, il a acquis une réelle aisance matérielle, il a une famille et tout un train de vie organisé, un atelier à Paris et une grande maison et un grand atelier dans la région parisienne, il occupe un rang majeur dans la vie intellectuelle française et internationale — cependant il quitte tout cela et s'installe, seul, dans une modeste chambre d'hôtel que l'on verrait mieux en accord avec les débuts d'un jeune artiste démuni. Parallèlement, ses premiers pas en peinture là-bas, les premières toiles du Matisse niçois sont d'une modestie poignante — mais trompeuse. Ma chambre au Beau-Rivage (Philadelphia Museum of Art) et Intérieur à Nice (collection particulière), le titre dit tout, ce n'est rien que cela, un modeste espace vide, un dénuement presque total — mais le titre ne dit pas l'essentiel: la chambre, dans le tableau, est une boîte à lumière. »3
Une lettre de Matisse à Camoin du 10 avril 19184 précise comment s'instaurent à Nice un espace et un rythme de travail :
« En attendant, la pluie depuis 8 jours et la mer démontée. Pendant ce temps, les arbres sont en fleurs, et elles n'attendront pas pour tomber que j'aie pu les travailler après la pluie. Un coup de soleil les abattra. En attendant, je peins des fleurs dans mon atelier, appartement que j'ai loué pour trois mois, quai du Midi. Je travaille aussi à l'Ecole des Arts décoratifs dirigée par Audra, un ancien de chez Moreau. Je dessine la nuit et je... le modèle, j'étudie avec le Laurent de Médicis de Michel-Ange : j'espère de mettre en moi la conception claire et complexe de la construction de Michel-Ange. (...)
Là je travaille énormément toute la journée, et avec ardeur, je sais qu'il n'y a que ça, de bon et de sûr. Je ne puis faire de politique, comme hélas, presque tout le monde en fait, aussi pour compenser il faut des toiles fermes et sensibles. Métier de forçat que nous avons, sans les certitudes qui font dormir tranquille. Il faut chaque jour avoir peiné toute la journée pour accepter l'irresponsabilité qui met la conscience en repos.
Mes enfants sont avec moi. Marguerite et Pierre. C'est très agréable, mais tout de même, je travaille mieux quand je suis seul. »
C'est dans une chambre vide de l'appartement loué comme atelier (à côté de l'hôtel Beau-Rivage — au n° 105 du quai du Midi, aujourd'hui quai des États-Unis — ) qu'a été peint, à partir d'avril 1918 sans doute, Le Violoniste à la fenêtre. Le violon occupe fort le peintre ces années-là, au point qu'il renoncera en 1920 à l'heure d'étude quotidienne avant la séance de peinture, dans la mesure où il constate une déperdition d'énergie. Il a tenté de reporter sa « vocation » de musicien sur son fils cadet, Pierre, au grand dam de ce dernier. Le père et le fils sont tous deux impliqués à ce titre dans la silhouette solitaire du musicien devant sa fenêtre : Matisse avait en effet entrepris, juste avant la toile du MNAM, un portrait de Pierre au violon , laissé à l'état d'esquisse. Pierre a été présent à Nice aux côtés de son père (cf. la lettre du 10 avril à Camoin citée ci-dessus) mais confirme ne pas avoir posé pour son propre portrait5, pas plus que pour Le Violoniste à la fenêtre qui reprend manifestement le même thème. C'est toujours la fenêtre, ici ouverte sur un ciel triste, qui tient la partie de la peinture. Devant elle se tient une figure de l'artiste, musicien ou peintre, c'est tout comme : qu'il s'agisse du pinceau ou de l'archet, cette figure vue de dos qui regarde et joue du violon (qui regarde et peint) est vouée à tenter difficilement de donner une forme à son monde intérieur. Le Violoniste à la fenêtre est à déchiffrer comme un autoportrait complexe et masqué. L'implication de Matisse lui-même est évidente dans la silhouette sans regard, dont la tête est ronde et transparente comme un aquarium (de même que celle du peintre dans Le Peintre dans son atelier). Le rôle du noir et la composition dépouillée, par bandes parallèles, renvoient aux œuvres de 1916, mais la couleur fluide et brossée avec légèreté — des gris argent, des bleus pâles, des roses lilas — procède bien de certaines expériences menées en 1917.
Isabelle Monod-Fontaine
Notes :
1. Cf.Henri Matisse - The Early Years in Nice, 1916-1930, Washington, National Gallery of Art, 2 novembre 1986- 29 mars 1987, pp. 19 et 42.
2. Le rétablissement des dates est publié et documenté par Jack Flam, in Jack Flam, The Man and his Art, 1869-1918, Londres, Thames and Hudson, Ltd, 1986, p. 505, note 25.
3. Dominique Fourcade, « An Uninterrupted Story », in catalogue de l'exposition Henri Matisse - The Early Years in Nice, 1916-1930, Washington, National Gallery of Art, 2 novembre 1986- 29 mars 1987, p. 51 (cité ici dans le texte original, communiqué par l'auteur, que je remercie vivement).
4. « Correspondance Henri Matisse- Charles Camoin », établie par Danièle Giraudy, in Revue de l'Art, n° 12, p. 21.
5. Cf. Jack Flam, The Man and his Art, 1869-1918, Londres, Thames and Hudson, Ltd, 1986, p. 506, note 29.
Source :
Extrait du catalogue Œuvres de Matisse, catalogue établi par Isabelle Monod-Fontaine, Anne Baldassari et Claude Laugier, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1989
Analysis
Cette toile appartient à la toute première saison niçoise de Matisse, saison de profonde remise en question de son système de vie et de travail, qui va s’organiser pour longtemps autour de l’alternance entre les étés à Issy (auprès de sa famille) et les hivers solitaires dans « la lumière tendre et moelleuse malgré son éclat » de la Côte d’Azur. Remise en question commencée avant même son départ pour Marseille, puis Nice, à la fin de décembre 1917, et qui l’a amené à s’interroger en peinture sur un certain nombre d’acquis et de références, notablement celles de Cézanne, qui l’avaient soutenu dans les années 1910-1916. Le Violoniste à la fenêtre a été peint au printemps 1918, dans une pièce du 105, quai des États-Unis (à côté de l’hôtel Beau-Rivage, où Matisse s’était installé en arrivant), louée en février ou mars 1918 pour lui servir d’atelier, au moment où il décidait de prolonger son séjour à Nice. Marguerite et Pierre, ses enfants, le rejoignent pour quelques jours en avril. Est-ce alors qu’il dessine son fils, vu de dos, jouant du violon devant un pupitre ? Cette grande esquisse au fusain sur toile est conservée au Musée du Cateau-Cambrésis. On sait que Matisse tentait (vainement) de faire de son fils cadet un violoniste professionnel. On sait aussi que lui-même s’adonnait, pendant les mêmes semaines, à une pratique intensive du violon, par laquelle (entre autres) il tentait de se délivrer de son obsession récurrente de perdre la vue : la musique lui permettrait, le cas échéant, de disposer d’un second métier… Le violoniste anonyme, à la tête aussi ronde et transparente qu’un bocal vide, doit se lire comme un autoportrait doublement masqué. Et le violon (qui trône dans plusieurs « Intérieurs » peints alors à Nice) semble devoir être associé à l’expression de la solitude du peintre, au seuil de la cinquantaine et d’un nouveau cycle.
Le ciel d’un rouge étouffé baigne la scène d’une lumière froidement mélancolique. La fenêtre, dont les montants ressemblent au châssis d’une toile retournée, joue à nouveau le rôle de métaphore du tableau, un leitmotiv matissien. Kirk Varnedoe (Matisse-Picasso, cat. exp., Paris, 2002, op. cit., p. 339) remarquait aussi que les montants de la fenêtre se croisent au point exact où devraient se trouver les yeux du personnage de dos, oblitérant ainsi son regard. Il désignait ce violoniste « aveuglé », tournant le dos au spectateur, et jouant pour un tableau vu de dos, comme l’emblème d’une solitude assumée, mais fortement empreinte d’angoisse, sous la menace d’un enfermement.
Encadrée ou enserrée entre deux larges bandes noires, la composition découpée en rayures verticales rappelle celle des tableaux de 1914-1916. Mais la couleur fluide, brossée avec légèreté – des gris argent, des bleus pâles et des lilas – procède bien de la volonté d’allègement déjà manifeste en 1917.
Isabelle Monod-Fontaine
Source :
Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007