Cinema
Basic Training
20 Nov 2008
The event is over
Impossible, devant Basic Training, le cinquième documentaire de Frederick Wiseman, de ne pas penser à la fin poignante de High School (1968) : au moment de la remise des diplômes, une enseignante lit à la tribune la lettre d'un ancien élève, orphelin parti au Vietnam pour n'y être, selon les mots de sa lettre, « qu'un corps qui fait un boulot ». Au camp d'entraînement de Fort Knox, dans le Kentucky, en pleine guerre du Vietnam, Wiseman filme la « chronique d'un été » 1970 : le conditionnement de ces corps (le mot body signifie aussi cadavre), mesurés, pesés et rasés dès leur descente du car.
Construit chronologiquement de l'arrivée des jeunes gens à leur graduation, Basic Training pourrait se contenter de notations documentaires montées de manière à dénoncer l'abrutissement organisé de chair à canon adolescente et donc, la guerre. Mais on l'a assez reproché à Wiseman, suprême représentant d'un vrai cinéma direct : il n'a que faire de l'idéologie. Comme le résume François Niney, son « film induit un double regard dans et sur l'institution et ses raisons, qui sont à la fois exposées en tant que telles et en tant que 'falsifiables', c'est-à-dire, au sens de Karl Popper, contestables 1 »
Quelle place a donc la guerre, bien réelle et à laquelle les « bleus » participeront bientôt, dans le discours de préparation ? Au départ, aucune : loin des « Kill kill kill ! » belliqueux lancés aux Marines ainsi que le rapportent les jeunes vétérans de Winter Soldier, les officiers de Basic Training avancent prudemment vers la réalité du combat : l'instructeur qui enseigne la manipulation du M16 refuse même de répondre sur son utilisation future On s'aperçoit donc, à mesure que la formation musclée des recrues suit son cours, que Basic Training prolonge High School plus encore qu'on pouvait le croire. Les officiers à peine plus âgés initient leurs cadets non seulement à la guerre mais à la vie en général : film d'animation expliquant comment se brosser les dents, description des gestes à accomplir pour nettoyer les latrines, et même instructions pour faire ses lacets ! C'est bizarrement sur l'armée que la société américaine « rejette » la formation des garçons. Et les parents d'applaudir : « Si tu ne sors pas d'ici en vrai soldat américain, soutient à son fiston la mère du futur private Hoffman, tu ne seras jamais un homme. »
Mais il est une catégorie de recrues qui s'exclut au fur et à mesure de cette vaste entreprise d'initiation masculine dans laquelle chacun semble trouver son compte: les Noirs. Deux jeunes Afro-américains sont prêts à passer à l'amende, à l'écrou ou en cour martiale pourvu qu'on les laisse tranquilles, qu'on ne leur parle ni d'entraînement ni de combat: le lien entre patriotisme et formation de l'individu n'a pas fonctionné pour eux, car comme le dira un Noir aux soldats repentis de Winter Soldier un an plus tard, si des tortures fondamentalement racistes ont pu être commises au Vietnam par des milliers de jeunes Américains bien sous tous rapports, c'est peut-être parce que, at home, le racisme antinoir sévit toujours.
1 François Niney, L'Epreuve du réel à l'écran, De Boeck Université, 2002, p. 150.
When
From 8pm