Graham Stevens
Desert Cloud, 1974
De l’air comme matière à créer
L'artiste anglais Graham Stevens (né en 1944) fait de l’air son médium artistique et de la symbiose entre art et science un élément indispensable pour formuler une utopie environnementale.
Formé à l’université de Sheffield, il étudie l’architecture, l’art et la science de l’environnement en climatologie. L’artiste est également marqué par des cours de psychologie de la perception et plus particulièrement de la relation humaine avec les forces physiques de la nature. Très rapidement, il commence à réaliser des essais avec de petits ballons de couleurs remplis d’air, d’eau et de sable, expériences tactiles non sans connotations humoristiques et sexuelles.
Spacefields et Atmosfields, euphoriques et libérateurs
Grâce à une machine à souder le plastique et à la collaboration de quelques amis ingénieurs et physiciens, Graham Stevens parvient à fabriquer des objets à plus grande échelle, les Spacefields. Dans ces grands volumes d’air pulsé dans lesquels on peut s’assoir, sauter ou s’allonger, il associe son, odorat, goût, texte et lumière à l’expérience tactile et kinesthésique des corps.
Après son diplôme, il s’installe à Londres dans le quartier St Katharine et teste ses installations dans le bassin des docks alors en pleine réhabilitation. Ses interventions dans l’espace public sont spectaculaires tant par l’esthétique que par leur approche sensorielle. Invité en 1967 à Amsterdam à participer à une performance dans l’espace public, ses architectures gonflables provoquent chez les visiteurs une expérience euphorique et libératrice.
Après avoir exploré la structure gonflable et habitable, sur terre et sur l’eau, Graham Stevens développe à la fin des années 1960 de nouvelles expérimentations dans lesquelles la structure gonflable et transparente capte les rayons et transforme l'énergie naturelle en architecture mobile et autonome.
Desert Cloud (1972) est sans doute le projet le plus emblématique de cette série appelée Atmosfields. Graham Stevens en fait un acronyme « ART: Absorption, Reflection, Transparence ». Cet immense coussin d’argent (12 x 10 x 2 mètres) convertit les rayons absorbés par la membrane transparente supérieure en radiations de basse fréquence grâce à la partie inférieure des manches d’air, composée d’une membrane argentée réfléchissante. En d’autres termes, l’air à l’intérieur s’échauffe et se dilate, la structure se gonfle et flotte de manière autonome. Maintenue par des cordes, Desert Cloud flotte comme un cerf-volant chatoyant produisant ainsi une zone d’ombre en plein désert. Il s’agit d’une structure libre qui ne nécessite aucune ressource énergétique. Stevens a démontré comment elle pourrait même condenser et capter de l’eau en parvenant à créer de la glace par un ciel du désert nocturne et clair. L'expérience est filmée en 1974 dans le désert du Koweït en plein choc pétrolier, l’artiste utilisant la forme du documentaire pour expliquer sa démarche.
L’architecture comme système écologique
Comme l’affirme Stevens aujourd’hui, Desert Cloud est une façon de s’éloigner de la conception de l’architecture comme protection de l’extérieur pour aller vers une nouvelle approche de l’habitat en harmonie avec l’atmosphère et produisant sa propre énergie. Il décrit cette pièce comme « une structure esthétique potentiellement capable de produire 30 façons de convertir l’énergie naturelle telles que : la condensation de l’eau, la capture du carbone par la photosynthèse des plantes, le contrôle du réchauffement et le refroidissement des radiations, le stockage de l’énergie solaire, la production de nourriture et d’eau, le dessalement solaire, le vol solaire, l’énergie solaire passive des constructions… toutes les formes d’énergies renouvelables permettant de lutter contre le réchauffement climatique. »
Voyant toujours plus loin, Graham Stevens crée au début des années 1970, sa propre entreprise Atmospherics industries LTD, réunissant des scientifiques et des ingénieurs autour de l’énergie solaire. Cette coopérative entend investir dans le domaine de l’eau, de l’agriculture, de l’industrie, du bâtiment, du transport et des communications. Né de cette entreprise, Desert Cloud est sponsorisé par des entreprises spécialisées dans l’agriculture sous serre dans le désert et dans la construction. Malgré l’engouement de ses partenaires, l’entreprise échoue.
Après s’être confronté aux inextricables demandes de brevets, Graham Stevens se tourne finalement vers une carrière juridique en devenant professeur de droit à Londres.
Aujourd’hui, son travail à la croisée de l’art et de l’architecture apparaît comme visionnaire et essentiel dans l’écologie environnementale. Explorant dès les années 1970 la puissance et l’utilité de l’air comme source d’énergie économique, Graham Stevens est l’un des premiers artistes à contribuer à la redéfinition de l’interaction physique entre l’architecture, l’environnement et les êtres humains.
Graham Stevens en 7 dates
1944 Naissance à Londres
1964-1966 Études d’architecture, d’art et de science de la climatologie à l’université de Sheffield
1965 Assistant de l’architecte Buckminster Fuller à Paris pour le Congrès International d’architecture
1968 Participation à l’exposition « Structures Gonflables » au Musée d’art moderne de la ville de Paris
1973 Juriste et enseignant en droit
2007 Résidence d’artiste à l’École des beaux-arts de Nantes
2014 Engagement auprès de l’organisation écologiste Blue-Green London contre le projet de Thames Tideway Tunnel, un égout de 25 km sous la Tamise, dont la construction est pour le moment stoppée.
Pour aller plus loin
Entretien avec Graham Stevens par Laurent Gervereau, avec un extrait du film Desert Cloud
Émission [decryptcult] #5, janvier 2014
Durée : 18'
En français
Trois questions à Graham Stevens
Entretien réalisé en août 2021
Dans la collection du Musée national d'art moderne :