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Focus sur... « Main-coquillage » de Dora Maar

Photographe professionnelle de mode dans les années 1930, intellectuelle engagée, complice artistique de Pablo Picasso, peintre… Dora Maar est l’une des rares femmes à appartenir au groupe surréaliste. Retour sur Main-Coquillage, l’un de ses photomontages les plus emblématiques, actuellement montré au cœur de la vaste exposition « Surréalisme ».

± 4 min

Main-coquillage est un intrigant et onirique photomontage de Dora Maar (1907-1997), réalisé en 1934 à la chambre photographique dans le studio de photographie de mode qu’elle partage alors avec son associé Pierre Kéfer, et où se croisent les plus grands modèles parisiens. Au premier plan d’une scène minutieusement composée, sans raccord, la main gauche d’un mannequin féminin de prêt-à-porter, surexposée, sort d’une conque enroulée sur elle-même – son majeur, à l’ongle vernis, s’enfonce avec volupté dans le sable. Dans le lointain, en guise de fond, un ciel d’orage menaçant, noir, inquiétant, percé d’une lumière puissante et mystique – sans doute une image glanée par l’artiste. Les grandes dimensions de la composition (40,1 × 28,9 cm) ajoutent encore à son effet dramatique.

 

Dora Maar, à qui le Centre Pompidou consacrait une vaste rétrospective en 2019, exerçait comme photographe commerciale pour la mode et l’industrie de beauté dans les années 1930, ce qui lui donna l’occasion de se familiariser avec le photomontage traditionnel pour la presse illustrée, Bravo : Le mensuel de Paris ou Le Figaro illustré notamment. En 1933, alors qu’elle fait déjà partie du milieu artistique et intellectuel parisien, elle rejoint le groupe surréaliste, dont elle partage tout autant l’engagement antifasciste et politique, que les ambitions esthétiques. Dès son plus jeune âge, l’artiste indépendante et accomplie nourrissait un sens aigu de l’absurde et de l’étrangeté, ce dont témoignent ses premiers clichés de rue marqués par une recherche du grotesque urbain. Rien d’étonnant alors à ce qu’elle fasse du photomontage son médium surréaliste de prédilection ; dès l’année 1934, elle produit vingt œuvres hors contexte de commande.

 

En 1933, alors que Dora Maar fait déjà partie du milieu artistique et intellectuel parisien, elle rejoint le groupe surréaliste, dont elle partage tout autant l’engagement antifasciste et politique, que les ambitions esthétiques.

 

Les photomontages surréalistes de Dora Maar se caractérisent par leur effet de réel, tout en convoquant l’iconographie propre aux préoccupations du mouvement ; érotisme, sommeil, œil, inconscient, univers maritime… Suivant les règles de composition d’un tableau, elle respecte les perspectives et, la plupart du temps, les rapports d’échelle de ses mises en scène oniriques ; le rêve est alors perçu comme moyen de libération du « Ça », lieu psychanalytique des pulsions. À ce titre, les photomontages de Dora Maar répondent aux ambitions des surréalistes : fixer les images du rêve par le recours à une précision visuelle de plus en plus objective.

 

Main-coquillage est une œuvre tout en contrastes, où les éléments naturels, qui semblent sur le point de se déchaîner, tranchent avec la volupté de cette main manucurée, détachée du corps, symbole de l’indépendance, du geste libérateur. Le majeur pénètre le sable, lascivement. Le vernis à ongles ajoute à l’érotisme de la composition ; pendant longtemps réservé aux prostituées, il devient symbole d’émancipation et d’indépendance au début du 20e siècle. La conque, d’où s’extrait la main, n’est pas sans rappeler la coquille de Triton, dieu romain de la richesse et de l’abondance, ou encore Vénus, déesse de l’amour, de la séduction, de la beauté féminine. Le monde marin que convoque Dora Maar est aussi celui du mystère de l’inconscient. Avec ce photomontage, Dora Maar provoque le trouble ; le fantastique de la représentation d’une part et le réalisme de la composition d’autre part. Elle s’affirme ainsi comme la figure surréaliste incontournable d’une technique en pleine expansion : le photomontage. ◼