Au supermarché du Centre Pompidou... #3 Le siège, du Bauhaus à aujourd'hui
Siège
Définition : meuble ou tout autre objet fait pour s'asseoir (Larousse).
C’est au niveau 5 du Musée national d’art moderne, salle 17, que le mobilier Bauhaus du designer Hongrois Marcel Breuer, père du modernisme, a pris ses quartiers : le fauteuil club B3, conçu pour le peintre Vassily Kandinsky, la chaise « Piscator », commandée pour l’appartement berlinois du metteur en scène Erwin Piscator, le fauteuil B 35, et aussi le fauteuil MR 20 de Ludwig Mies van der Rohe, la chaise à lattes… Manquent quelques magazines de golf et trois Paris Match périmés pour que la pièce ressemble à la salle d’attente d’un cabinet de dentiste du 16e arrondissement de Paris. Bois, métal, textile… L’esthétique 1920 est épurée, élégante, intemporelle. Il est tentant de tester le confort de ces pièces maîtresse du design mais évidemment c’est interdit. L’injonction « Ne pas toucher » s’adresse aussi aux fesses.
Et cette chaise vide posée là-bas contre un mur ? Celle qui est installée entre sa propre image et une définition du mot « chaise ». Est-ce qu’elle est libre ? Non, pour la simple raison que ceci n’est pas une chaise, mais une idée de chaise. En 1965, quand il expose à l’âge de 20 ans, One and Three Chairs, l’Américain Joseph Kosuth se pose en héritier de Marcel Duchamp. Il prolonge l’art conceptuel en y ajoutant une dimension sémantique et tautologique. 1965, c’est aussi l’année de l’apparition de « la politique de la chaise vide ». De Gaulle suspend la participation de la France aux réunions du conseil des ministres de la Communauté économique européenne, bloquant de facto toute prise de décision. Comme chez Kosuth, la matérialité de l’œuvre est moins importante que les intentions qui ont présidé à sa conception. De Gaulle faisait de l’art conceptuel sans le savoir.
Oublions De Gaulle et revenons à Pompidou. En 1971, le jury du concours d’architecture lancé pour la création de ce qui deviendra Beaubourg distingue le projet n°493 présenté par Renzo Piano et Richard Rogers. Bravo messieurs, mais pas question de se reposer sur ses lauriers. Il faut commander les poutres, les vis, les boulons et prévoir de quoi réceptionner des centaines de postérieurs dans la future Bibliothèque publique d’information (Bpi). Le duo lance donc un nouveau concours pour déterminer cette fois le concepteur du mobilier de l’institution. C’est l’architecte d’intérieur Michel Cadestin qui remporte la mise. Ses propositions répondent aux deux concepts fondamentaux de la structure imaginée par le tandem Piano/Rogers : flexibilité et fluidité. En utilisant un treillis en métal recouvert de galettes de cuir, Cadestin met au point la « chaise Traîneau » et sa variante de bureau, la « chaise Dactylo ». Il imagine aussi un « fauteuil Président », pliable, avec tubes de métal et assise et dossier en cuir. Pendant longtemps, ces sièges ont peuplé les étages du Centre Pompidou et de la Bpi. Ils avaient l’avantage d’être montés sans outil, par souci de simplicité et de liberté, à l’image du bâtiment, entièrement évolutif.
Justement, les musées bougent. Ils ne restent pas assis sur leurs convictions. Il n’y a que les chaises de café, comme celle sur laquelle est assise avec nonchalance Sylvia von Harden, à la table du Romanische Café de Berlin, dans le portrait peint en 1926 par Otto Dix, qui sont éternelles. En 2000, la chaise .03, conçue deux ans plus tôt par le Belge Maarten Van Severen, prend la place de l’historique création de Michel Cadestin. Il faut dire que la remplaçante, éditée par la marque Vitra, a de sérieux arguments à faire valoir. Asseyez-vous bien. « Le confort extraordinaire du siège sobre .03 se révèle lors de l'utilisation : la coque d'assise, conçue en mousse intégrale de polyuréthane robuste, s'adapte à la morphologie de l'utilisateur et s'incline légèrement lorsque celui-ci s'adosse, grâce aux ressorts à lames intégrés au dossier. » Rien qu’en lisant le catalogue on se sent bien. Depuis plus de vingt ans, la .03 (559,00 € TTC, prix catalogue, hors frais de port) accueille donc le séant des usagers de la Bibliothèque publique d'information… et celui des gardiens du musée. Pour ces derniers, la chaise sert d’outil de travail et de poste d’observation. Campés sur leur position, ils sont visibles tout en étant transparents, là tout en étant absents. Fondus dans le décor, les agents de surveillance doivent souvent accepter l’indifférence, supporter parfois le poids du mépris. Dans le fabuleux spectacle Gardien Party, de Mohamed El Khatib et Valérie Mréjen, la parole de ses sentinelles silencieuses se fait enfin entendre. L’une d’elles rapporte la remarque d’un parent à son enfant : « Tu vois, si tu ne travailles pas bien à l’école, tu finiras assis sur une chaise, comme le monsieur ou la dame. ». Pourtant, dans l’espace du musée, seuls les gardiens peuvent fièrement revendiquer faire partie des meubles. ◼
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Marcel Breuer, Fauteuil « Stahlclubsessel B3 »
(Fauteuil club B3, dit « Wassily »), 1925
© Bertrand Prévost - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP